La crise économique: causes et effets

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Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti
Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti

Cet été, en évoquant la fièvre des marchés mondiaux des valeurs, les économistes la qualifiaient de "certaine turbulence" provoquée par la crise hypothécaire aux Etats-Unis. Mais au début de l'automne, ils parlaient déjà de "crise financière globale". A l'heure actuelle, les leaders mondiaux examinent les perspectives de réorganisation du monde après la crise, en reconnaissant de fait que l'actuel cataclysme est susceptible de détruire complètement les systèmes économique et politique qui se sont formés pendant les dernières décennies.

God bless America

Tout récemment, ceux qui n'aiment pas les Etats-Unis ricanaient avec méchanceté: l'Amérique tombe en ruines! Le colosse s'est avéré avoir des pieds d'argile! Cependant, de nombreux américanophobes sont aujourd'hui prêts à répéter comme un mantra les mots "God bless America". Même les personnes n'ayant aucune notion d'économie se sont rendu compte que si l'économie américaine s'écroule, sous ses ruines seront enterrées les économies de nombreux pays émergents et même développés.

Le système économique mondial est un mécanisme immense et complexe, où la défaillance d'un seul élément peut entraîner de sérieuses perturbations de fonctionnement. Or, les Etats-Unis ne sont pas qu'un petit élément, ils sont un ressort qui met en marche le système entier. La part des Etats-Unis dans l'économie mondiale dépasse 50%, l'Amérique consomme plus d'un quart du pétrole produit dans le monde et son marché est la cible des exportations mondiales. Le contrôle des flux financiers alimente le budget des Etats-Unis et leur permet de gérer le potentiel industriel dispersé à travers le globe.

C'est uniquement grâce à un système financier sophistiqué qu'il a été possible de garder sous contrôle un tel colosse. Ce système a commencé, un beau jour, à vivre sa propre vie, ayant formé une "économie fictive". En d'autres termes, les bénéfices des institutions financières ne dépendaient plus de la production réelle, mais étaient réalisés au moyen d'opérations financières complexes. Il était tellement profitable de faire de l'argent à partir de l'argent que les capitaux accumulés dans la "bulle financière" étaient plusieurs fois plus importants que ceux qui circulaient dans l'économie réelle.

Regardez attentivement

Il est désormais clair que les causes du cataclysme économique ne sont pas dues uniquement à la crise des crédits hypothécaires aux Etats-Unis. Aussi étrange que cela puisse paraître, celles-ci étaient déjà présentes dès l'apparition du modèle économique contemporain.

Un principe qui paraît simple au premier regard est à la base des économies de marché: "la demande appelle l'offre". Au XXe siècle, un phénomène paradoxal a été constaté: dans un contexte de production de masse, l'abondance de l'offre peut engendrer sa propre demande. Dans le cas idéal, ce processus doit se répéter sans cesse en assurant une croissance indéfinie de l'économie. Or, une économie "en croissance permanente" a besoin d'un boom ininterrompu de la consommation. Les banques prêtaient donc sans cesse de l'argent au "consommateur idéal", en abaissant toujours la barre, et elles ont fini par en prêter même à des emprunteurs manifestement insolvables.

Le marché surchauffé des crédits hypothécaires aux Etats-Unis s'est avéré le maillon le plus faible de ce schéma. C'est seulement au premier abord que le système hypothécaire semble le mieux protégé contre les mauvais payeurs. Certes, la banque possède comme garantie un bien immobilier, mais dans le contexte de non-paiement massif, cette garantie ne sert à rien. Imaginez la situation suivante: l'emprunteur fait faillite, et le créancier reçoit son appartement. Mais la banque n'a pas besoin de celui-ci, elle a besoin d'argent, et l'appartement est mis en vente. C'est alors que le système dérape: le marché débordant déjà de propositions, la banque n'arrive pas à récupérer son argent.

Pourquoi se préoccuper des problèmes d'Outre-Atlantique?

Pourquoi les Russes doivent-ils se préoccuper de la faillite des banques américaines et de la chute du Dow Jones? Parce que le marché des valeurs russe est très dépendant de la conjoncture mondiale. La plupart de ses acteurs sont des spéculateurs financiers étrangers qui, en cas de problèmes, commencent par retirer leur argent des marchés volatils en développement, dont fait partie celui de la Russie. Au milieu de l'été 2008, les investisseurs financiers se sont mis à quitter le marché des valeurs russe, en provoquant ainsi la chute des cours à la bourse et la panique.

Le secteur réel de l'économie devrait être la victime suivante de la crise. Cela ressemble, en effet, à une réaction en chaîne. Les banques américaines, même celles qui n'ont pas été touchées par la crise, ont suspendu, à tout hasard, l'octroi de crédits à l'économie américaine et, à plus forte raison, européenne. Les institutions de crédit de l'Europe, elles, ont peur de prêter de l'argent aux banques et compagnies russes.

Mais la plupart des secteurs de l'économie réelle fonctionnent à crédit, et si le système bancaire mondial ne recommence pas à accorder des crédits au secteur réel, un ralentissement de la croissance économique, puis une récession seront inévitables. En Russie, ce sont le commerce de détail et le secteur du bâtiment qui ont été les premières victimes de la "crise de défiance", comme les économistes ont caractérisé le refus des banques d'accorder des crédits. Mais les commerçants et le secteur du bâtiment pourraient être soutenus par l'Etat. Il est cependant beaucoup plus contrariant que la récession de l'économie mondiale puisse priver l'Etat russe de sa principale source de revenus: les pétrodollars.

Au milieu de l'automne, les prix du pétrole ont commencé à baisser. Ceci devait arriver tôt ou tard: on a plus d'une fois parlé du caractère spéculatif des prix trop élevés des hydrocarbures. Ces derniers temps, les contrats à terme sur le pétrole sont devenus une sorte de monnaie alternative, dans laquelle les spéculateurs financiers plaçaient volontiers leurs disponibilités. L'enthousiasme des spéculateurs était nourri de cette foi mythique en une croissance éternelle de l'économie mondiale; or, on sait bien que l'économie en croissance permanente éprouve un besoin toujours croissant de ressources, et les fournisseurs de matières premières n'ont donc rien à craindre. L'agitation spéculative était réchauffée par les économies émergentes de la Chine et de l'Inde, qui augmentaient sans cesse leur consommation d'hydrocarbures. Des têtes brûlées parmi les experts prédisaient même l'augmentation du prix de l'or noir jusqu'à 200 dollars le baril vers la fin de cette année. Ce ne fut pas le cas.

Si l'éclatement de la bulle financière a été plutôt une chose abstraite pour la majorité des Russes, le "bang" de la bulle pétrolière, lui, sera entendu par tout le monde. Les hydrocarbures sont le principal produit d'exportation de la Russie, assurant plus de la moitié des revenus provenant de l'étranger, et constituent en outre l'une des principales sources de recettes budgétaires de l'Etat.

Un dragon de papier et des îlots de stabilité

A l'heure actuelle, les experts économiques cherchent fiévreusement une réponse à la question de savoir quel pays sera le moins touché par cette tempête économique, mais aussi quelle économie constituera un "havre de paix" pour les investisseurs. L'Extrême-Orient avec la Chine en tant que leader régional ont été les premiers candidats à ce rôle.

En effet, pourquoi pas? Il y a un an, on prédisait que la Chine pourrait jouer le rôle de nouveau centre mondial, et le yuan chinois devrait devenir, dans les 30 années à venir, au moins la troisième monnaie mondiale après le dollar et l'euro. Au cours de ces vingt dernières années, l'économie de "l'Empire Céleste" croissait à raison de 10% par an; cette région recèle 80% du potentiel mondial de production. A la fin de l'année dernière, cinq "blue chips" chinois et seulement trois entreprises américaines faisaient partie du Top-10 des compagnies ayant le niveau de capitalisation le plus élevé. Enfin, Jim Rogers et Warren Buffet, des hommes parmi les plus riches du monde, ont converti en yuans et en actions de compagnies chinoises les actifs en dollars qu'ils détiennent.

En réalité, le dragon chinois n'est aujourd'hui qu'un décor en couleurs. La structure économique de la Chine est relativement instable en raison de son développement hétérogène: des villes ultramodernes et des technopôles du littoral du Pacifique contrastent avec les régions rurales "moyenâgeuses", dont les habitants sont obligés de cueillir du bois mort ou de voler du charbon pour chauffer leurs maisons.

Mais l'essentiel est que l'économie de la Chine, aussi bien que celle de la Russie, dépend de facteurs extérieurs, notamment du capital de la diaspora chinoise à l'étranger (ce sont ces émigrés qui ont financé les percées technologiques de la Chine) et des marchés occidentaux, principaux destinataires de la production des entreprises chinoises.

L'Asie s'est révélée mal préparée à devenir un débouché de réserve, qui s'avère tellement important lorsqu'une crise financière risque de dégrader la capacité d'achat des habitants du Vieux et du Nouveau monde. La population pauvre de la Chine et de l'Inde n'est tout simplement pas prête à consommer. Au début du XXIe siècle, les dirigeants chinois ont déployé de grands efforts en vue d'accroître les échanges commerciaux de détail à l'intérieur du pays. Il leur a fallu augmenter les salaires ainsi que la masse monétaire. Mais la population a consacré la plupart de ces sommes supplémentaires à faire des économies et non à consommer. Selon certaines estimations, la croissance des dépôts bancaires dans le pays dépasse non seulement celle des échanges commerciaux, mais également celle de la masse monétaire. La majorité des Chinois économisent pour s'assurer une vieillesse sécurisée, pour payer l'éducation de leurs enfants et les soins médicaux, et 70% du PIB chinois sont réalisés en dehors du pays.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce sont les petits Etats d'Europe orientale qui ont le plus de chances de surmonter la crise avec le moins de pertes. Leurs économies sont encore peu intégrées dans le système international de division du travail. Parmi les pays qui pourraient devenir des îlots de stabilité, on trouve la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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