JO de Sotchi : la pression monte

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Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
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À moins de six mois des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, les appels au boycott se multiplient en Occident. Mais ils ne sont pas motivés par la politique du Kremlin au Caucase du Nord ni par le soutien d’Ossétie du sud et d’Abkhazie. C’est la loi pénalisant la « propagande » homosexuelle parmi les mineurs mais largement perçue comme homophobe – qui nourrit la controverse.

Comme il fallait s’y attendre, à moins de six mois des Jeux olympiques d’hiver qui doivent se tenir à Sotchi du 7 au 23 février 2014, les appels au boycott se multiplient en Occident. Mais, contrairement à ce que l’on pouvait supposer, ils ne sont pas motivés par la politique du Kremlin au Caucase du Nord ni par le soutien persistant aux entités sécessionnistes d’Ossétie du sud et d’Abkhazie, cinq ans après la « guerre d’août » contre la Géorgie de Saakachvili. C’est la loi promulguée en juin dernier par Vladimir Poutine – présentée par le pouvoir russe comme visant la « propagande » homosexuelle parmi les mineurs mais largement perçue comme homophobe –  qui nourrit la controverse.

Ces derniers jours, les prises de positions se sont multipliées. L’acteur britannique Stephen Fry a écrit au Comité international olympique pour lui demander de retirer à la Russie l’organisation des JO de Sotchi, accusant Vladimir Poutine d’avoir fait des « homosexuels des boucs émissaires comme Hitler l’avait fait avec les Juifs ». La ministre allemande de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, a pour sa part déclaré, dans un entretien à l’hebdomadaire Der Spiegel, que « coller des étiquettes sur les homosexuels était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme », ajoutant que les athlètes avaient la possibilité de ne pas prendre part aux compétitions, et que les hommes politiques étaient libres de ne pas se rendre à cet événement sportif. Le mouvement All Out a remis début août au ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en marge de sa rencontre avec le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, une pétition signée par 340000 personnes appelant à dénoncer cette loi « homophobe » et à protéger les homosexuels contre toute discrimination. Pour l’instant, une réédition du scénario de 1980 n’est pas à l’ordre du jour : Angela Merkel, David Cameron et Barack Obama se sont dit opposés à un boycott de Sotchi.

Pour l’heure, les dirigeants russes balancent entre indifférence et théorie du complot. Le ministre russe des sports, Vitali Moutko, pense ainsi que « Plus la Russie est forte, et plus cela déplaît à certains ». Beaucoup, dans les cercles de pouvoirs russes, ne sont pas fâchés de voir la Russie attaquée sur un sujet qui permet au pouvoir d’être en phase avec la « révolution conservatrice » à l’œuvre depuis le printemps 2012. Machisme, imperméabilité au politiquement correct et refus de toute ingérence occidentale guidant l’action de Vladimir Poutine, une inflexion de la position russe est impensable. Au fond, le Kremlin – en dépit de sa volonté proclamée de recourir au soft power et des sommes colossales engagées pour sa communication en Occident – paraît indifférent à son image à l’étranger.

Pas sûr pourtant que Moscou puisse ignorer la campagne qui se met en place en Occident contre les JO de Sotchi. Très impliqué personnellement dans la candidature de son pays puis dans l’organisation des Jeux, Vladimir Poutine attend naturellement qu’ils contribuent au prestige international de la Russie. Le même raisonnement valait pour le sommet de l’APEC à Vladisvostok en septembre 2012 et pour la Coupe du monde de football qu’organisera la Russie en 2018. Les JO à venir seront donc à haut risque pour le Kremlin, que ce soit au plan sécuritaire (les islamistes nord-caucasiens ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils cibleraient Sotchi) et symbolique (un coup d’éclat de sportifs sympathisants de la cause homosexuelle, à l’image des poings levés de Carlos et Smith à Mexico en 1968, ne serait pas du meilleur effet vu du Kremlin).

Accessoirement, la controverse naissante autour des JO de Sotchi met en évidence l’étroitesse des marges de manœuvre des Européens et des Américains dans leurs relations avec Moscou. A avoir trop fait la leçon (pas toujours à bon escient) à la Russie dans les années 1990, à avoir trop longtemps ignoré les intérêts géopolitiques légitimes du Kremlin (que l’on disait pourtant traiter en partenaire), les Occidentaux – par ailleurs mal en point économiquement – sont aujourd’hui mal placés pour faire passer des messages de modération à Vladimir Poutine.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

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