La victoire balkanique de Lady Ashton

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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N’eûssent été la sagesse et le pragmatisme du général britannique Mike Jackson, les choses auraient pu gravement dégénérer, en ce mois de juin 1999. Son chef direct, l’américain Wesley Clark, fou de rage, souhaitait employer la manière forte contre les Russes.

N’eûssent été la sagesse et le pragmatisme du général britannique Mike Jackson, les choses auraient pu gravement dégénérer, en ce mois de juin 1999. Son chef direct, l’américain Wesley Clark, fou de rage, souhaitait employer la manière forte contre les Russes. Leur audace était, il est vrai, à la hauteur de la surprise qu’ils provoquèrent dans les rangs de l’Otan. Au terme de 78 jours de frappes aériennes contre la Serbie, les troupes occidentales pénétraient, pacifiquement, dans la province du Kosovo, peuplée majoritairement d’Albanais. Le président serbe Milosevic avait cédé ! Et voici qu’une colonne de blindés russes, venant de Bosnie, s’invitait à la party, en s’emparant de l’aéroport de Pristina, la capitale du Kosovo ! La Russie soutenait la Serbie ; les Occidentaux avaient pris fait et cause pour les revendications de la population albanaise. Une erreur, un coup de feu de trop, et les choses pouvaient très mal tourner dans ce face-à-face inattendu entre militaires des deux camps… Le général Jackson, avec sa voix de fumeur et son allure de pilier de pub, dit alors fermement non à son supérieur hiérarchique au sein de l’Otan : « Sir, I’m not going to start World War Three for you ! » « Monsieur, je ne vais pas déclencher la troisième guerre mondiale pour vous ».  On se souvient que le Première du nom avait débuté non loin de là, à Sarajevo, alors que les grandes puissances soutenaient chacune leurs héros balkaniques et se laissèrent emporter dans la tragédie par leurs conflits. Manifestement, le général Jackson se souvenait de ses cours d’histoire…

Le coup de Pristina, c’était il y a quatorze ans. A la fin du siècle dernier, autant dire un autre monde, dans lequel la guerre se déroulait sur le sol de l’Europe – où l’aviation alliée bombardait chaque nuit la capitale d’un Etat souverain, où un général américain rêvait d’utiliser la force contre des militaires russes. Un autre monde, si proche pourtant…

Quatorze ans plus tard, un autre Britannique est à l’honneur des Balkans. Ou plutôt, une Britannique, la baronne Catherine Ashton. C’est une immense surprise, aussi grande que le déboulé des Russes dans la plaine de Pristina en juin 1999. Car le Haut Représentant de l’Union aux affaires étrangères et à la politique de sécurité – c’est son titre officiel -  ne s’était jusqu’à présent guère illustré sur la scène internationale, si ce n’est par son absence et son inefficacité. Près de trois et demi après sa nomination, le 1er décembre 2009, elle vient de convaincre les autorités de Serbie et du Kosovo de signer un accord. Si tout se déroule comme prévu – les Balkans ne sont jamais à l’abri d’un coup de théâtre dramatique – la guerre est donc terminée et elle s’achève sous les auspices de l’Union européenne.

L’accord a été signé le 19 avril 2013 à Bruxelles après des mois d’âpres négociations. Au final, la Serbie n’est pas obligée de reconnaitre son ancienne province comme Etat indépendant, mais elle reconnait au gouvernement de Pristina une compétence sur l’ensemble de ce territoire, y compris donc les zones encore peuplées de Serbes. En échange, le Kosovo s’engage à accorder une autonomie à ces mêmes Serbes, en particulier dans le secteur frontalier, au nord de Mitrovica. Ce n’est pas « Embrassons-nous Folleville ! » mais les poignards sont remis aux fourreaux. Une excellente nouvelle, dans un monde où elles sont rares.

Cet accord, largement soutenu par les forces politiques dans les deux pays, pourrait être d’autant plus solide, qu’il a été conclu par des nationalistes. D’un côté le Premier ministre kosovar  Hashim Thaçi, leader de l’UCK albanaise qui a été le fer de lance de la guerre contre la Serbie. De l’autre, le Premier ministre serbe Ivica Dacic, à la tête d’une coalition nationaliste et lui-même dirigeant du Parti socialiste, celui de feu Milosevic… Autant dire qu’il ne s’agit pas d’un accord entre modérés des deux camps, mais bien plutôt de l’entente de réalistes. S’adressant aux députés à Belgrade, le dirigeant serbe l’a d’ailleurs explicitement reconnu : la Serbie « ne possède plus le Kosovo depuis longtemps »…

Par quel miracle, les ennemis d’hier en sont-ils venus à approuver un tel accord ? L’engagement personnel de Lady Ashton y est, évidemment, pour quelque chose, mais l’essentiel provient de la force d’attraction de l’Union européenne. Relisez bien : oui, l’UE si mal en point conserve un redoutable pouvoir de séduction sur sa périphérie. Partout, on ne cesse - à juste titre - de constater sa panne, voire sa crise profonde. Les socialistes français en sont à rejeter la responsabilité des maux de la France sur leurs voisins allemands ! C’est dire si tout va bien. Et pourtant, dans la « banlieue » de l’Union, la perspective d’y adhérer reste un moteur suffisamment puissant pour se rabibocher avec ses ennemis d’hier. Et ce n’est pas fini. Le président serbe, Tomislav Nicolic vient de faire une déclaration historique concernant la guerre de Bosnie : « Je m’agenouille et demande que la Serbie soit pardonnée pour le crime commis à Srebrenica », où plus de 7000 « Musulmans » bosniaques avaient été assassinés, en juillet 1995.

Déchirée en son cœur, l’UE reste perçue comme un espace géopolitique de stabilité, où règnent la paix, la liberté et, malgré tout, une certaine dose de prospérité. Les voisins frappent à la porte.

Trois jours après la ratification de l’accord par le Parlement de Belgrade, l’Union européenne annonçait d’ailleurs que les négociations pour l’adhésion (lointaine) de la Serbie à l’UE débuteraient en juin et que le Kosovo pourrait, lui aussi s’engager dans la même voie.

Mais l’UE seule n’aurait jamais pu obtenir ce résultat. Son pouvoir de séduction ne marche qu’allié à la force de frappe de l’Otan. La Yougoslavie s’enfonçait dans la tragédie (qui fit au total environ 100.000 morts) sans que la communauté internationale n’y puisse mais. Le tournant vint en 1995, lorsque l’Otan pris vraiment les choses en main, imposant la fin des combats en Bosnie, puis quatre ans plus tard, réglant par la force la question kosovare. Menacées, la stabilité de la Macédoine et de l’Albanie furent sauvée par l’action de l’Alliance atlantique, sous des formes diverses. 

Certes, les conflits sont plus gelés que résolus. La Bosnie reste un Etat bancal, globalement en panne. Les trafics s’épanouissent dans toute la région, plus en tout cas que l’économie licite. La Macédoine, elle aussi, est à la merci de déséquilibres internes. Mais la paix y règne ! Et ne plus craindre d’être bombardé ou exécuté parce qu’on n’appartient pas à la bonne communauté n’est pas rien… 

L’étape suivante ? C’est la perspective de l’adhésion à l’UE – qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2012 -  et dont nous voyons aujourd’hui les effets positifs entre Serbes et Albanais – et peut-être bientôt entre Serbes et Bosniaques. Par ces temps de pessimisme, ne feignons de nous en réjouir.

(1)    Pour connaitre le GIGN tel qu’il est vraiment aujourd’hui, on lira « Le GIGN par le GIGN », remarquablement illustré et documenté aux Editions LBM (Janvier 2013, 38,80 euros)

(2)    Un film, très réaliste sur le plan tactique dans l’avion, retrace cet épisode : « L’Assaut » de Julien Leclercq, sorti en 2011.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

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