Sergueï Lavrov – homme politique de l'année en Russie

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 Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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En 2012, la politique russe a été riche en événements et on pourrait citer bien des noms. Mon choix personnel se porte sur le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

On nomme traditionnellement divers "hommes de l'année" avant qu’arrive la nouvelle, en déterminant qui a exercé le plus d’influence, qui a joué un rôle-clé et qui a particulièrement bien reflété les tendances.

En 2012, la politique russe a été riche en événements et on pourrait citer bien des noms. Mon choix personnel se porte sur le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

Après l'élection présidentielle de mars 2012, alors que le nouveau président formait le gouvernement, on a souvent déclaré que la politique étrangère russe pourrait se doter d'un nouveau leader. Toutefois, aucune alternative n'a été proposée, alors que Sergueï Lavrov assumait ses fonctions depuis déjà huit ans, un record pour la Russie moderne.

Sergueï Lavrov est le premier chef du MAE russe, après Evgueni Primakov, à s’être progressivement transformé d'un technocrate en homme politique de poids. Le haut niveau professionnel de Sergueï Lavrov et son maniement habile des outils diplomatiques sont reconnus même par ses adversaires à travers le monde. Et son énorme expérience constitue un bagage dans lequel il puise tout ce qui est nécessaire pour ses activités courantes.

2012 a permis à Sergueï Lavrov de briller, notamment sur le dossier syrien. En janvier le ministre russe a, pour la première fois, affiché l'élément-clé de la position de Moscou, à savoir l’empêchement d’une intervention armée étrangère ou, a minima, que celle-ci ne soit pas légitimée par la communauté internationale. En décembre, la Russie et les Etats-Unis auraient, à en croire la presse arabe, initié un plan conjoint pour une transition dans le pays. Entre ces deux événements, une joute diplomatique classique s'est déroulée, à l'instar de celles qui avaient cours au XIXème siècle.

Moscou a fait preuve d'un esprit de compromis sans précédent afin d'atteindre l'objectif-clé mentionné ci-dessus. En dépit d’une opinion répandue, le Kremlin et le MAE russe ne se sont pas battus pour des intérêts précis mais pour un principe d'organisation des relations internationales. En 2012, on a souvent déclaré que la Russie avait subi une défaite complète et un échec moral sur le dossier syrien.

Néanmoins, les acteurs n'ont jamais cessé de contacter Moscou en sollicitant de nouvelles initiatives. Certes, cette situation n'est pas seulement due à l'art des diplomates mais à l'impasse objective qui s'est dessinée en Syrie. Cela ne change pas l'essentiel : la Russie reste un acteur majeur tout en étant consciente qu’elle devra se retirer du jeu - la Syrie, déchirée par une guerre civile, ne promet de gain à personne et tout futur scénario est lugubre.

Si la Syrie a prouvé que la diplomatie classique était bien vivante, la fin de l'année, marquée par un regain de rejet mutuel entre les parlements russe et américain, a montré les limites de ses moyens.

Le Congrès américain a adopté la "loi Magnitski" dans un effort pour coincer Barack Obama dans sa politique de redémarrage envers la Russie - un motif purement intérieur -, pour rappeler aussi sa mission de gardien des droits de l'homme et pour entériner la pratique d'exterritorialité de la législation américaine, caractéristique des Etats-Unis avec leur tendance à la domination mondiale, notamment dans le domaine légal. Notons que le chapitre 4 de la "loi Magnitski" permet d'inclure tout citoyen russe accusé de violations importantes des droits de l'homme.

Il se prête à une interprétation élargie et peut, au besoin, concerner n'importe qui. Un outil aussi partial, arbitraire - les critères sont laissés à la discrétion des autorités américaines – et refusant de reconnaître les prérogatives souveraines des autres Etats, est un phénomène sans précédent dans les relations entre les grandes puissances. Cette goutte a fait déborder le vase de patience du Kremlin.

La riposte a été surprenante. Elle ne fait de mal à personne aux Etats-Unis, hormis quelques dizaines de familles malheureuses qui sont actuellement en train de remplir les formalités d'adoption d’orphelins russes. Une attaque de propagande contre un pays qui est le seul, avec la Somalie, à ne pas avoir signé la Convention internationale des droits de l'enfant, ne peut faire de l'effet qu'en Russie et d'ailleurs, avec moins de succès qu'autrefois. Dans l'arène internationale, l'utilisation d'orphelins comme arme de représailles ne suscite que des réactions perplexes. Même les Américains qui s'étaient opposés à l'adoption de la "loi Magnitski" sont découragés par la riposte russe.

Le conflit russo-américain provoqué par la "loi Magnitski" illustre la confusion conceptuelle qui règne dans les relations internationales. D'une part, les Etats-Unis "s'affaissent" à l'intérieur – à cause de l'incapacité de parvenir à un compromis dans une telle société polarisée – et à l'extérieur où leur domination s'érode. Ils contrebalancent le tout par un durcissement de leur approche sur l'échiquier mondial, dans la mesure où ils cherchent à imposer aux autres ce qui s'est révélé bancal dans leur propre pays.

Souvent, les Américains sapent en fait leurs propres positions dans des domaines concrets. D'autre part, le gouvernement russe cherche à résoudre, avec ses moyens - en l'occurrence l'interdiction d'adopter des orphelins russes par les Américains -, des problèmes internes (la consolidation de la société et le renforcement du patriotisme), externes (une riposte violente aux velléités "exterritoriales" des Etats-Unis) et globaux (renforcer son système de valeur).

Paradoxalement, les relations russo-américaines sont aujourd'hui plutôt correctes et dépourvues de contradictions fondamentales pouvant provoquer un conflit grave. Ni la Syrie ni l'Iran ni le déploiement du système ABM ne dépassent le cadre des frictions habituelles des grandes puissances non alliées.

Toutefois un mélange d'émotions, de complexes, d'amours-propres blessés et d'ambitions exagérées complique la situation au maximum et crée un terrain propice à un rejet mutuel réellement aigu. Et la diplomatie, même la plus habile, se révèle impuissante.

Sergueï Lavrov s'est souvent exprimé contre l'introduction du thème des adoptions dans la loi russe promulguée comme riposte à l'"acte Magnitski". Je n’ai en tête aucun autre exemple où le ministère des Affaires étrangères, institution conservatrice par excellence et adhérant à la lettre à la politique officielle, aurait publiquement exprimé son désaccord avec la position des plus hauts dirigeants du pays.

On peut comprendre le ministre. En tant que professionnel, il est ennuyé par le fait que l'immense travail effectué dans le cadre de la signature du traité sur les adoptions avec les Etats-Unis ait été jeté à la poubelle.

Ce travail a d'ailleurs été accompli conformément aux désirs des pouvoirs exécutif et législatif russes. L'accord n'est entré en vigueur que le 1er novembre dernier et il est donc encore trop tôt pour juger de l'efficacité des normes de contrôle qu'il contient. Une approche purement professionnelle se révèle en l'occurrence plus morale qu'une démagogie politique grandiloquente.

Etant un fonctionnaire discipliné, Sergueï Lavrov continuera à chercher, dans ces nouvelles circonstances, des moyens pour accéder aux enfants russes adoptés même si on peut facilement imaginer l'attitude des Américains envers ces efforts après la dénonciation du traité. Le professionnalisme est un actif inestimable. Mais parfois la diplomatie se montre impuissante face à l'intérêt politique.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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