La faillite des révolutions colorées

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Ce titre est le titre d’un texte paru en mars 2010, sous la plume de l’excellent analyste français Xavier Moreau, par ailleurs responsable de Realpolitik-TV Russie.

Ce titre est le titre d’un texte paru en mars 2010, sous la plume de l’excellent analyste français Xavier Moreau, par ailleurs responsable de Realpolitik-TV Russie. A l’époque le texte qualifiait l’arrivée au pouvoir du président ukrainien Viktor Ianoukovich de nouveau revers pour la politique américaine dans la région. L’élection ukrainienne de 2010 était en effet un test grandeur nature pour juger de l’aptitude d’un "régime issu d’une révolution de couleur" à pérenniser la direction politique et économique d’un pays sur la durée. Force a été de constater que ce test n’a pas été passé par les Orangistes du président Iouchenko. Moins de 6 ans après son élection ce candidat fantoche n’a en effet obtenu que 5% des voix à l’élection permettant aux électeurs de juger son premier mandat. Seulement deux ans plus tard, l’égérie de la révolution de couleur orange Ioulia Timochenko est elle en prison pour abus de pouvoir, tandis que le pouvoir ukrainien actuel semble en bonne position pour être conforté politiquement aux prochaines élections et ainsi mettre un terme définitif à la brève séquence historique "orange ukrainienne" (2004-2010). Est-ce le signe que l’Ukraine pourrait rapidement choisir de rejoindre l’Union Eurasiatique au lieu de l’Union Européenne?

La première de ces révolutions de couleur date de 12 ans et a frappé la petite Serbie. Des 1999, une campagne militaire de l’OTAN vise la république fédérale de Yougoslavie. Après la campagne militaire, une fois mis au banc de la communauté internationale, le pays devient à la fois le théâtre d’opération et la cible d’une extraordinaire opération de manipulation médiatique et politique, qui entrainera le renversement du régime Milosevic. Ce coup d’état démocratique est la fameuse révolution de tracteurs, la première des révolutions de couleur qui va frapper l’Eurasie et les marches politiques russes durant la première moitie des années 2000. La Géorgie en 2003, l’Ukraine en 2004, la Kirghizie en 2005, la Moldavie en 2009, la Biélorussie en 2010 ou la Russie en 2011, nombre d’Etats seront visés par ces révolutions d’un nouveau genre.

Le modus-opérandi, toujours le même, est maintenant bien connu. Des déstabilisations civiles sont organisées et médiatisées via un réseau d’ONGs et de relais médiatiques, politiques ou autres, afin d’inciter les gens à descendre dans la rue, et à instaurer un désordre et une pression civile non violente, destinée à faire démissionner le pouvoir en place, voir a le renverser démocratiquement (!). Le principe est d’une efficacité étonnante et le stratagème parfaitement éprouvé, comme l’a parfaitement raconté il y a quelques années l’un des principaux artificiers de la révolution de couleur serbe à la très célèbre revue française Politique Internationale. Notre révolutionnaire y explique au passage tant la coopération avec la CIA que les financements américains de dizaines de milliers d’ONG ou encore la très haute densité de la manipulation médiatique. La majorité des manifestants enfin n’est absolument pas consciente de la manœuvre, elle croit sincèrement que tout se fait de façon spontanée.

L’objectif était clair: faire basculer les pays visés dans le giron de l’alliance occidentale, afin de permettre la poursuite de l’extension à l’est de l’Otan et de conforter l’encerclement géostratégique de la Russie. Les tentatives de révolutions de couleurs n’ont pas abouti partout. Elles ont échoué en Biélorussie, en Russie, en Moldavie et finalement en Kirghizie. L’Ukraine (le plus "russe" des états concernés) n’a mis que 6 ans à annuler la sequence historique orange. Le pouvoir orange n’a pu finalement qu’organiser un conflit gazier avec la Russie (en 2006), conflit gazier ayant finalement abouti à la création de South Stream, un gazoduc paneuropéen contournant l’Ukraine et ôtant à ce pays toute capacité de nuisance par un chantage énergétique dans l’avenir. On peut donc sincèrement douter des capacités de vision stratégique à long terme des dirigeants ukrainiens de l’époque.

La Serbie vient semble t-il également de rompre avec sa sequence historique de couleur puisque lors des dernières élections présidentielles, ce sont les nationalistes proches de la coalition Milosevic de l’époque qui ont repris le pouvoir, après un " interrègne de couleur " de 12 ans, interrègne durant lequel le pays s’est considérablement appauvri et a perdu une part importante de son territoire : le Kosovo.

La Géorgie restait le symbole le plus abouti et le plus fort, mais aussi le plus sensible de ces révolutions de couleurs. Non seulement car le Caucase reste un point sensible de la géostratégie russe, mais aussi car le pays a déclenché un conflit militaire contre la Russie en 2008, conflit que le pays a perdu en seulement 8 jours, et qui s’est traduit par la perte d’une importante partie du territoire (comme en Serbie), via l’indépendance des régions d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Mikhail Saakachvili a vu sa cote de popularité décroître progressivement depuis sa prise de pouvoir controversée en 2004, et les scores de sa coalition politique avec: 96% des voix lors de la présidentielle de 2004, 53% lors de la présidentielle de 2008, 63% lors des législatives de 2008, et finalement 40% lors des dernières législatives de 2012. Il est fort plausible désormais que le maître de la Géorgie orange ne soit pas réélu président lors des prochaines présidentielles de 2013.

La fin de l’ère Sakaachvili en Géorgie mettrait donc sans doute un terme définitif à cette séquence historique des régimes de couleurs et ce avec une certaine logique, le revenu par habitant de la Géorgie orange est aujourd’hui inférieur à celui de l’Egypte ou du Swaziland et le taux de chômage y atteint officiellement 16%, lorsque certaines estimations affirment que le taux réel de chômage réel serait plus proche des 70%.

Il reste désormais sans doute aux nouveaux pouvoirs de ces Etats "désorangisés" de mener la seule politique qui semble réaliste au vu de leur emplacement géographique, de leur forte dépendance économique avec leur voisin russe, mais aussi au vu de leur mauvaise santé économique. Une politique neutre et pragmatique, basée sur la coopération et l’intégration politique, économique et militaire au sein de l’Union Eurasiatique.

L’opinion exprimee dans cet article ne coïncide pas forcement avec la position de la redaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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