Après le déluge

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Au moins 171 victimes et plus de 48.000 sinistrés: tel est le bilan des inondations qui ont ravagé le sud de la Russie le week-end dernier. Un chiffre qui pourrait encore s'alourdir.

Suite à des pluies diluviennes, de fortes inondations ont frappé dans la nuit de vendredi à samedi plusieurs municipalités du sud de la Russie, faisant au moins 171 victimes. Une vague de plusieurs mètres de haut a notamment balayé Krymsk (territoire de Krasnodar). Le torrent d'une violence rare a tout emporté. Ville la plus durement touchée, Krymsk concentre l'essentiel des pertes humaines, avec au moins 159 victimes. A Guelendjik, des personnes sont mortes électrocutées dans une rue inondée. Le bilan pourrait s'alourdir dans les jours à venir. Au total, on comptait mardi au moins 48.000 sinistrés dans le sud du pays. "Dans les villes de Guelendjik, de Krymsk et de Novorossisk (…) 5.185 maisons abritant au total 26.475 personnes ont été affectées par le sinistre", avait indiqué lundi matin le service de presse de l'administration régionale interrogé par RIA Novosti.

La question des responsabilités a été soulevée dès le lendemain de la catastrophe, alors que les médias découvraient, hébétés, l'ampleur du désastre. Car Krymsk, "épicentre" de la tragédie, avait déjà connu des inondations meurtrières il y a précisément dix ans. En août 2002, un torrent y avait tué 62 personnes et emporté des dizaines de maisons. Le maire de Novorossisk Valeri Prokhorenko avait été condamné à trois ans et demi de prison avec sursis pour négligence.

Les prévisions météorologiques ont été diffusées en temps et en heure: dès le 3 juillet, le centre régional Sud du ministère russe des Situations d'urgence avait annoncé que du 4 au 9 juillet, le niveau des cours d'eaux de montagne atteindrait un niveau critique, ce qui aurait dû permettre d'adopter des mesures préventives. Bien qu'il ait le mérite d'exister, le système d'alerte par SMS a fonctionné beaucoup trop tardivement et n'a pas atteint de nombreuses personnes concernées, comme l'a reconnu le ministère russe des Situations d'urgence. Aucune sirène n'a retenti, les gens ayant été contraints de communiquer par téléphone portable afin d'obtenir des informations.

Quoique l'évacuation ait commencé dès le vendredi soir, l'action des sauveteurs a été critiquée. De nombreuses personnes ont été livrées à elles-mêmes, une femme ayant par exemple confié au journal Kommersant avoir attendu de l'aide pendant douze heures. "Des barques passaient près de moi, ils me promettaient qu'ils reviendraient et je n'ai revu personne", raconte-t-elle. Certains villages durement frappés n'ont été que très tardivement visités par les sauveteurs. Des employés du ministère russe des Situations d'urgence se sont notamment plaints aux correspondants de Kommersant d'une coordination défaillante de la part de leurs supérieurs.

Rumeurs

Le chaos ambiant a favorisé l'apparition de rumeurs dès le lendemain de la catastrophe: la vague qui a frappé Krymsk ne serait non pas due aux pluies diluviennes, mais la conséquence d'un lâcher d'eau depuis la retenue d'eau de Neberdjaïev, qui aurait atteint un niveau limite en raison des fortes pluies. Selon les victimes, les autorités auraient eu le choix entre libérer de l'eau vers le sud, en direction de la station balnéaire de Guelendjik et le port de Novorossisk, où la lâcher vers le nord, en direction de Krymsk et de ses 50.000 habitants. Cette version fantaisiste a toutefois été formellement démentie par différents experts. Membre de l'ONG écologiste indépendante Surveillance environnementale du Caucase du Nord, Souren Gazarian, cité par le journal Kommersant, a indiqué qu'il était tout simplement impossible de réaliser un lâcher d'eau "forcé" depuis la retenue en question, qui ne possède pas d'écluses.

Les catastrophes naturelles font souvent l'objet d'une politisation à outrance en Russie, comme ce fut le cas lors des incendies de l'été 2010. Une situation qui ne repose pas uniquement sur des faits objectifs, mais s'enracine dans un contexte ancien et profond de défiance entre la population et les autorités locales. Afin de couper court à toute accusation d'atermoiement, le président Vladimir Poutine s'est immédiatement rendu dans la région afin de chercher à établir les besoins et les responsabilités. Le 9 juillet a été décrété jour de deuil national. Des mesures énergiques ont été adoptées sans attendre, comme le limogeage du chef du district de la ville de Krymsk.

Le fait que Krymsk ait déjà été le théâtre d'une tragédie de grande envergure il y a dix ans pousse cependant certains commentateurs à dresser un constat amer sur l'évolution dans le pays, déplorant que les leçons n'aient pas été tirées. Systèmes d'alerte défaillants, risques créés par la déforestation en matière d'écoulement des eaux de pluie: d'après certains chercheurs et écologistes, le bilan des inondations aurait pu être moins meurtrier si les autorités de tous niveaux avaient suivi les recommandations des experts suite à la catastrophe de 2002.

L'écrivain Arkadi Babchenko, très critique envers le pouvoir, constate amèrement qu'avec chaque catastrophe, une sorte de complexe national russe se creuse: "Chaque année, nous découvrons qu'il nous manque quelque chose dans ce pays. Depuis la Tchétchénie, nous savons que nous n'avons pas d'armée. Depuis le (naufrage du sous-marin) Koursk, nous savons que nous n'avons pas de scaphandriers (…). Depuis le Cheval Boiteux (boîte de nuit théâtre d'un incendie meurtrier, ndlr), nous savons que nous n'avons pas de médecine de catastrophe. Avec les incendies (de l'été 2010, ndlr), on a su qu'on n'avait ni pompiers, ni gardes forestiers, ni sauveteurs. Désormais nous sommes au courant que nous n'avons pas de système d'écoulement des eaux, d'hélicoptères de sauvetage, de système d'alerte, etc. Nous devons comprendre une chose: nous n'avons pas d'Etat".

Après avoir reconstruit les maisons, les systèmes d'approvisionnement en eau et en électricité, les routes, le pouvoir aura encore beaucoup à faire pour restaurer une infrastructure invisible, mais néanmoins cruciale: la confiance entre la société et les autorités.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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