Rue du sang versé

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Une des premières démarches du nouveau ministre russe de la Culture Vladimir Medinski a été d'émettre une proposition "choc": débaptiser les rues portant le nom de terroristes ayant fait couler le sang au nom de la révolution.

A peine arrivé à son poste, le nouveau ministre de la Culture Vladimir Medinski du gouvernement Medvedev a proposé une mesure "choc": ôter le nom des rues baptisées sous l'Union soviétique en l'honneur de terroristes ayant fait couler le sang au nom des idéaux révolutionnaires. Le 5 mai, M. Medinski a ainsi proposé de remplacer les noms de "bourreaux et d'assassins" par ceux de leurs victimes.

Parmi les bourreaux, le ministre a notamment cité les noms du révolutionnaire Voïkov, impliqué dans l'assassinat de la famille du tsar, ainsi que Khaltourine et Jeliabov. Les victimes qui, selon Medinski, mériteraient d'orner les plaques de rues de la capitale, sont le gouverneur de Moscou et grand prince Sergueï Alexandrovitch, ainsi que sa femme Elizaveta Fiodorovna, fusillée et décrétée sainte martyre par l'Eglise orthodoxe.

Dans un pays où le spectre de Staline vient régulièrement hanter l'actualité et diviser la société, la mesure pouvait difficilement passer inaperçue. J'avais tenté d'expliquer dans une précédente tribune que Staline, remplisseur du goulag et responsable d'événements tragiques du XXe siècle, est aussi perçu par une grande partie de la population comme l'homme qui a incarné la victoire au terme de la grande Guerre patriotique. La "schizophrénie" lié au Petit père des peuples est telle que des débats enflammés ont éclaté avant l'anniversaire des 65 ans de la Victoire, quand son portrait est apparu sur des autobus à Saint-Pétersbourg, ou lorsque des restaurateurs ont redonné son aspect initial à une fresque en son honneur dans le métro de Moscou. A la différence de l'Allemagne qui a engagé une "guerre totale" contre son passé nazi, la Russie n'a pas opté pour un rejet systématique de la figure de Staline, choisissant de l'intégrer au sein d'une mémoire composite et complexe.

L'idée de M. Medinski est habile, parce qu'elle évite de viser frontalement le dictateur communiste, un terrain trop polémique et sensible aujourd'hui encore. La proposition s'attaque à une époque moins conflictuelle de l'ère socialiste de 70 ans qui, faut-il le rappeler, est loin d'être historiquement homogène: la naissance violente du communisme, principalement marquée par la révolution de 1917, la guerre civile et le meurtre de la famille du tsar.

L'initiative rencontre évidemment une ferme résistance. "Il n'y a pas de tableaux en noir et blanc dans l'histoire. La relation à des personnes  telles que Jeliabov et Zassoulitch peut être différente. Il n'est pas à exclure que le temps passant, nous révisions à nouveau notre opinion des acteurs historiques. Les noms de rues reflètent notre histoire, russe et soviétique", a déclaré au journal Moskovskie Novosti Konstatine Averianov, membre du Conseil de Moscou chargé des noms d'unités territoriales. D'autres ont accusé le ministre, personnalité critiquée au sein du monde de la culture, de vouloir s'affirmer en créant la polémique.

La proposition n'est évidemment pas déliée des problématiques présentes de la Russie: le pays est en proie depuis six mois à un mouvement de protestation sans précédent, dont le ton s'est durci au fil du temps. Au départ centré sur la transparence des élections, le discours a peu à peu dérivé vers l'exigence du départ des dirigeants russes. La grille de lecture "révolutionnaire" des événements s'est alors mise en place, certains leaders d'opposition n'hésitant pas à menacer de "prendre le Kremlin".

Le pouvoir a contre-attaqué en traçant des parallèles entre les manifestations récentes et les "révolutions de couleur" (survenues sur le territoire postsoviétique suite à la chute de l'URSS), inscrivant la contestation russe dans un schéma de rupture potentiellement violent. Les autorités russes souhaitaient de leur côté incarner la "stabilité" des institutions, ainsi qu'une vision constructive et progressive de l'histoire.

Dans un tel contexte, l'initiative Medinski s'avère éminemment politique: en condamnant symboliquement les "révolutionnaires", elle renvoie dos-à-dos les velléités de déstabilisation passées ou présentes, toutes porteuses d'un risque de dérive sanguinaire.

L'idée de débaptiser certains noms de rues n'appartient d'ailleurs pas au ministre. Elle été formulée tout récemment par le célèbre chef de file du LDPR, Vladimir Jirinovski. Selon le député, en baptisant les rues en l'honneur de révolutionnaires, "on pousse leurs arrière-petits-enfants à faire la révolution". A titre d'exemple, Jirinovski avait cité la rue Oudaltsov, nommée en l'honneur de l'économiste Ivan Oudaltsov, qui participa à la guerre civile et fut impliqué dans la propagande révolutionnaire.

Coïncidence? Ivan Oudaltsov n'est autre que l'arrière-grand-père de Sergueï Oudaltsov, leader du Front de gauche et figure de proue du mouvement de contestation russe.

 

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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