La carte turque et le Caucase russe

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Il y a quelques mois j’écrivais sur ce mouvement peu connu, le mouvement Prométhéen, qui s’était défini par défaut comme défendant un projet fondé sur le nationalisme ethnico-régional en Eurasie.

Il y a quelques mois j’écrivais sur ce mouvement peu connu, le mouvement Prométhéen, qui s’était défini par défaut comme défendant un projet fondé sur le nationalisme ethnico-régional en Eurasie. Ce projet de démembrement de la Russie en de multiples entités n’est pas une nouveauté, son histoire a commencé au 19° siècle, et il a été pensé et défini tant par des stratèges nazis comme Alfred Rosenberg en 1939, que par des stratèges Américains comme Zbigniew Brezinski dans son ouvrage le grand échiquier publié en 1997.

Suite à cet article, certains lecteurs m’ont écrit, ils n’avaient jamais entendu parler de ce mouvement et de ces théories. Cette tribune sur le prométhéisme est  à relier avec une seconde tribune que j’ai publiée il y a quelques semaines, sous le titre "encore et toujours le Caucase". Je faisais le point sur les accrochages entre les forces de l’ordre russes et les séparatistes de groupes islamo-maffieux caucasiens, et je tentais de démontrer que le Caucase, pion dans le "grand jeu" des britanniques au 19° siècle, puis avec le mouvement prométhéen, le Caucase, cible de l’OTAN avec le conflit de Géorgie en 2008, était aujourd’hui devenu le point chaud du Djihad eurasiatique.

La zone circassienne semble être à ce titre un des maillons faibles du Caucase. Lors de la conquête de cette région à la fin du 19ieme siècle, les russes battent les Adyguéens (peuple  du nord-ouest du Caucase, qui  vit dans les régions de l'Adyguée et de la Karatchaiévo-Tcherkéssie)  en 1864. A cette époque l’Angleterre avait tenté de déstabiliser la Russie, notamment par des livraisons d’armes dans le Caucase, et par sa contribution à la création de comités Tchétchènes et Tcherkesses lors du congrès de Paris, juste après la guerre de Crimée. A l’époque, on avait remarqué l’intervention de David Urquhart, un homme d’affaires anglais, aventurier et sans doute aussi espion, qui, dans les années 1830, avait encouragé les Tcherkesses à créer leur propre État. Il avait même publié une "Déclaration d’indépendance des peuples circassiens Tcherkesses", et créé pour eux un drapeau national.

Ces histoires anciennes reviennent à la surface à cause des « printemps arabes » qui déstabilisent les diasporas caucasiennes établies depuis longtemps dans divers pays du moyen orient. Par exemple, les demandes de retour au pays (en Russie) de milliers de Tcherkesses de l’étranger se superposent à un contentieux historique toujours ouvert entre la minorité Tcherkesse et l’état russe qui n’a jamais reconnu le "génocide Tcherkesse". Des émeutes avaient eu lien eu 2010, et l’année dernière le parlement Géorgien a reconnu le génocide Tcherkesse de 1763-1864, sans doute une mesure de rétorsion à la guerre de 2008 et à la reconnaissance par Moscou des ex-provinces géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.

La situation du Caucase est d’autant plus importante qu’en 2014 se dérouleront à Sotchi les jeux olympiques d’hiver. Il semble que certains mouvements se préparent à des actions de déstabilisation de grande ampleur. Le 13 mai dernier a eu lieu à Istanbul une conférence, organisée par la communauté Tcherkesse de Turquie mais également par l’ONG Imkander, afin de discuter de l’avenir de la communauté Tcherkesse en Russie mais aussi du Caucase en général. Certains des slogans de la conférence étaient on ne peut plus clairs: "Etre une colonie de la Russie ce n’est pas notre destin" ou encore "Le Caucase sans la Russie".

Durant la conférence, le représentant de la diaspora Tchétchène en Autriche, Vaha Banjaiev, a clairement affirmé que Dokou Oumarov était le leader naturel du Caucase uni. Pour mémoire, Dokou Oumarov fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, puisqu’il est considéré par le conseil de sécurité des nations unies comme l’un des terroristes les plus dangereux de la planète. Dokou Oumarov a proclamé la création future d’un émirat du Caucase, dont la Tchétchénie ne serait  qu'une simple province parmi bien d'autres. Il a également revendiqué les principaux attentats de ces dernières années en Russie , que ce soit l’attentat contre le train Nevski-Express de novembre 2009 (26 morts et une dizaine de blessés), celui du métro de Moscou en mars 2010 (39 morts et 102 blessés) ou l'attentat de janvier 2011 à l'aéroport Domodedovo (35 morts et 180 blessés). Cette conférence a vu la participation d’interlocuteurs étrangers assez inattendus comme le révèle le site Zebrastationpolaire. Tout d’abord Mikael Storsjö  un homme d’affaire Finlandais, candidat écologiste qui gère l’hébergement du site internet Kavkaz-Center, dans lequel on parle  de lutte armée et de terrorisme contre les forces fédérales. Celui-ci à créé un fonds d’aide financière destiné au Caucase. Etait également présente la journaliste japonaise Yukiko Kikuchi, sorte de Anne Nivat japonaise, qui a été très proche des combattants indépendantistes caucasiens. Elle a séjourné en Géorgie dans la gorge de Pankissi, elle a eu des problèmes avec les autorités russes en 2008, et elle a annoncé sa conversion à l’Islam lors de la conférence. Elle a également créé un fonds d’aide financière destiné au Caucase.

Tout ceci a bien entendu déclenché une colère diplomatique des autorités russes mais le fait est là: La Turquie semble servir en quelque sorte de nouvelle base arrière idéologique à des agissements séparatistes circassiens, exactement comme dans les années 1920 Istanbul fut la base arrière du Prométhéisme, au nom de la solidarité panturque et pantouranienne. Le soutien de certains membres des diasporas tcherkesses s’est aussi traduit par des manifestations en Amérique, Australie, Angleterre, Turquie ou Géorgie. Cette liste de pays concernés en dit long sur l’orientation géopolitique du mouvement.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que certains activistes Tcherkesses de l’étranger (s’inspirant du mouvement de contestation Moscovite Belayalenta, ou ruban blanc?) ont créé une sorte de ZelenaLenta (rubans verts). Est-ce un hasard ou une volonté d’un printemps Tcherkesse sur le modèle croisé d’un printemps arabe et d’une révolution de couleur? L’influence Turque grandissante en Eurasie du sud (du Caucase au Xinjiang Chinois) est elle inévitable et aura-t-elle pour conséquence de stimuler les séparatismes? La Russie et la Chine ont déjà organisé dans le cadre de l’Organisation de Shanghai des manœuvres militaires sur le thème de la lutte contre les séparatismes (selon le scénario Tchétchéno-ouigours). Faut il y voir un avertissement à la Turquie qui est rappelons le la seconde puissance militaire de l’Otan?

Si la diplomatie russe a du pain sur la planche dans cette région, on voit le centre de gravité des affaires du monde parait plus que jamais au cœur de l’Eurasie et notamment dans le Caucase que certains appellent déjà les Balkans du 21ème siècle.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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