Poutine au seuil de son troisième mandat

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Vladimir Poutine se prépare à prêter serment pour la troisième fois en tant que président de Russie. Le mois d'août marquera le 13e anniversaire depuis sa première prise de fonctions de chef de l'Etat russe.

Vladimir Poutine se prépare à prêter serment pour la troisième fois en tant que président de Russie. Le mois d'août marquera le 13e anniversaire depuis sa première prise de fonctions de chef de l'Etat russe. Au départ, en tant que premier ministre, mais en raison des problèmes de santé du président Boris Eltsine il a presque immédiatement assumé tout le fardeau. Puis ont suivi les huit années de sa présidence. Et quatre années au poste de premier ministre, mais tout le monde savait qui était le chef au sein du tandem (Poutine-Medvedev). A la fin de son nouveau mandat, Vladimir Poutine aura 65 ans, et il aura passé pratiquement 19 ans au pouvoir.

Il est impossible de prédire ce que sera Poutine à ce moment-là. Bien sûr, après un certain âge, en général les gens ne changent pas, et il n'y a donc aucune raison d'attendre que le président russe soit une exception. En revanche, dans le monde contemporain les circonstances évoluent rapidement, et les hommes politiques, qu'ils le veuillent ou non, doivent s'y adapter, en négociant parfois des virages très serrés.

Du point de vue de l'image, Vladimir Poutine est devenu complètement différent en 13 ans. Au début des années 2000, il se comportait comme un homme prudent et réservé qui n'était pas habitué à être sous le feu des projecteurs, bien qu'il disposât depuis le début du don de l'écoute et de la capacité de mettre à l'aise son interlocuteur. Aujourd'hui, Poutine est un politicien public sûr de lui, qui se sent à l'aise devant tout public, qui accorde beaucoup de temps et d'efforts pour créer sa propre image.

Toutefois, dans le fond, les points de vue de Poutine ont probablement peu changé. Il a une idée assez stable du développement de la Russie, qu'on pourrait qualifier de modérément conservatrice. En usant volontiers de la nostalgie soviétique, le président nouvellement élu estime toutefois qu'il n'est ni préférable, ni possible de revenir à la pratique soviétique. En fait, le gouvernement de Poutine était jusqu'à présent une coalition de libéraux systémiques, qui contrôlaient depuis le début des années 1990 la politique économique russe, et de ressortissants des forces de sécurité qui ont significativement renforcé leur influence dans les années 2000. Comme toute politique de coalition, elle nécessite des compromis et la coordination des intérêts, dont le capitalisme d'Etat russe avec une politique fiscale austère et de bons indices macroéconomiques est le fruit, mais il très monopolisé et inapte pour des innovations efficaces.

Le système politique russe reflète la profonde conviction de Vladimir Poutine selon laquelle la Russie est une société et un Etat de transition, très fragiles et qui ne se sont pas définitivement remis de la crise des années 1990, et par conséquent qui ne sont pas prêts pour une démocratie pluraliste à part entière. Poutine ne rejette pas la démocratie en tant que telle (ce qui le distingue de nombreux adeptes d'un "chemin particulier" pour la Russie), mais il a déclaré à maintes reprises qu'elle ne pouvait être que le résultat d'un long développement propre à chaque pays. Et une "gestion manuelle" (règlement des problèmes au cas par cas par les plus hauts dirigeants du pays) est nécessaire pour arriver au niveau suffisant de maturité civile et politique.

Poutine marche sur les traces de nombreux conservateurs russes qui ont toujours demandé qu'on leur donne du temps: quelques années sans crises de nerfs et bouleversements, et vous ne reconnaîtrez pas la Russie. L'expérience prouve que l'histoire n'a jamais laissé à personne ce temps, quelque chose se produisait et renversait le scénario. Néanmoins, l'espoir de vivre les "années de stabilité" renaît encore et encore. En rencontrant peu de temps avant l'élection présidentielle un groupe de commentateurs politiques, Poutine racontait passionnément qu'il avait réussi avec ses collaborateurs à faire renaître au cours de ces années la charpente de l'Etat russe, tout en disant qu'il avait besoin de "terminer la construction" (terme utilisé à plusieurs reprises). L'assonance consciente ou accidentelle avec la reconstruction (perestroïka) de Gorbatchev, ou plutôt une opposition à celle-ci – non pas une destruction et une nouvelle construction, mais un perfectionnement prudent de la structure existante.

En fait, le "syndrome de la perestroïka" est propre à la classe dirigeante de la Russie contemporaine. Poutine et ses collaborateurs étaient en plein décollage de leurs carrières au moment de l'effondrement de l'URSS. Ils ont vu de leurs propres yeux et se souviennent à quel point est mince la frontière entre les immenses espoirs et les meilleurs volontés du monde, et l'effondrement total. Ce souvenir émotionnel paralyse la volonté du changement, on craint de répéter les erreurs de Gorbatchev. Une certaine prudence et discernement, qui résulte de cette expérience, est évidemment utile, mais cela réduit considérablement la capacité à prendre des mesures décisives qui est nécessaire à tout homme politique important.

Poutine n'aime pas limoger ses collaborateurs, il ne le fait qu'en dernier recours et pratiquement jamais s'il fait l'objet d'une pression de l'opinion publique, qui exige le départ de tel ou tel haut fonctionnaire. Si quelqu'un commet une faute grave, Poutine attend que la vague de colère s'apaise, que la situation désagréable passe dans l'oubli, puis pour une autre raison mute le fonctionnaire impopulaire à un autre poste. Toutefois, Vladimir Poutine semble avoir compris aujourd'hui que l'un des problèmes de son gouvernement était la fatigue de la population de voir toujours les mêmes visages – depuis plus d'une décennie on voit à la télévision le même groupe de dirigeants. C'est la raison pour laquelle on devrait s'attendre à beaucoup de sang neuf, et les collaborateurs existants dont il a toujours besoin iront dans l'administration présidentielle qui est un organisme non public plus loin des regards.

Le conservatisme de Poutine se manifeste également dans son approche en matière de politique étrangère. En dépit d'une rhétorique généralement ferme et virulente, il est dans l'ensemble prudent et réactif. Dans les prochaines années cette caractéristique devrait se renforcer. Poutine voit le monde qui l'entoure comme extrêmement dangereux, imprévisible et chaotique, et pour cette raison toute décision doit être examinée plusieurs fois pour ne pas avoir de conséquences imprévisibles. Vladimir Poutine a une idée de la place que la Russie doit occuper dans le monde, et il est prêt à participer au "grand jeu" pour l'obtention de cette place, mais il est conscient des lignes à ne pas franchir.

Dans six ans, lorsque Poutine sera à la fin de son troisième mandat présidentiel, le monde sera certainement très différent. Et bien qu'au cours des années précédentes il ait fait beaucoup de choses, l'appréciation des qualités de Vladimir Poutine en tant que dirigeant du pays dépendra de la mesure dans laquelle il sera capable de surmonter les perturbations à venir.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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