Réflexion sur la révolution des neiges en Russie

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Les événements politiques et citoyens qu’a connu la Russie ces derniers jours ont sans doute une fois de plus été traités par le mainstream médiatique de façon excessive et erronée. Printemps russe, révolution des neiges, craquement du régime Poutine, révolution arabe a Moscou...

Les événements politiques et citoyens qu’a connu la Russie ces derniers jours ont sans doute une fois de plus été traités par le mainstream médiatique de façon excessive et erronée. Printemps russe, révolution des neiges, craquement du régime Poutine, révolution arabe a Moscou...

Les qualifications excessives et souvent obsessionnellement dirigées contre la figure du premier ministre sont certes en adéquation totale avec quelques slogans que j’ai pu entendre lors de cette manifestation mais semblent bien loin de la réalité du terrain tout autant que de ce que pensent a ce jour la grande majorité des Russes. Cette fois-ci, le mainstream médiatique francophone n’a pas égalé le mainstream anglophone, dont une des principales chaînes de télévision a commenté les manifestations en Russie en utilisant des images d’émeutes en Grèce. On sait pourtant que les palmiers sont rares dans les rues de Moscou :), et que la police russe ne porte pas d’uniformes grecs. Tout commentaire est inutile, il suffit de regarder le reportage.

Reprenons depuis le début. Suite aux élections législatives du 4 décembre, des cas de fraudes électorales ont été mis en évidence. Pour autant une analyse sérieuse et non émotionnelle montre que des différences entre les sondages, les sondages d’après votes, les estimations et les résultats ne seraient palpables que dans le Caucase ou éventuellement à Moscou, comme je l’avais mentionné ici. Il a été rappelé que la structure traditionnelle et conservatrice tchétchène (rôle des teïps par exemple) peut être un facteur de vote difficile à comprendre. Les autres fraudes dénoncées concerneraient donc essentiellement Moscou ou le score de Russie Unie aurait été gonflé, comme l’a affirmé en cours de dépouillement un sondage de sortie des urnes publié par l’institut FOM et qui a mis le feu aux poudres. Très curieusement ce sondage n’est plus en ligne aujourd’hui sur leur site, mais il a été repris sur de nombreux blogs. Quoi de plus simple à manipuler qu’un sondage d’après vote par un institut? Les mouvements de protestations n’ont donc concerné essentiellement que Moscou et Saint-Petersbourg, qui ont rassemblé les ¾ des manifestants du pays.

Qu’en est-il, en réalité,  de la fraude dénoncée et propagée sur la toile, via les réseaux sociaux ou Youtube, et que les journalistes occidentaux citent sans relâche depuis les élections? 7.664 incidents de diverses natures ont été recensés sur l’ensemble des bureaux de vote durant ces élections (en Russie et à l’étranger). Parmi ces incidents, les cas récencés qui concernent des plaintes pour fraude au niveau de la comptabilisation des voix sont 437. Regardons maintenant ce que dit le site de l’association "indépendante" GOLOS, spécialisée dans la surveillance des élections: 66 cas recensés de différence entre les décomptes des observateurs et les résultats finaux, qui portent chaque fois sur des écarts de 100, 200 ou 300 voix, selon les cas. Même analyse pour Vedemosti qui publie une analyse détaillée de Moscou dans laquelle une 30aine de cas a été recensés par les observateurs d’Iabloko (parti d’opposition) pour toute la capitale. Peut-on imaginer que ces 20.000 voix en litige (estimation haute) ont permis à Russie Unie de doubler son score à Moscou? A-t-on remarqué que les observateurs "indépendants" ou ceux de GOLOS ou d’Iabloko n’ont pu observer à ce jour quelque fraude que ce soit dans le reste des 3.374 bureaux de vote de la capitale? Peut- on imaginer que ces quelques cas de fraudes dans tous le pays aient pu inverser totalement le résultat du scrutin? On peut sérieusement en douter. Depuis les élections, personne n’a contesté les irrégularités, fraudes et  dysfonctionnements systémiques relevés par les différents observateurs de partis politiques et des associations. Mais on ne peut pas encore comparer Moscou à Chicago, ou 100.000 voix avaient disparu lors d’une élection en 1982. En outre, beaucoup d’observateurs internationaux ont eux validé les élections, que l’on regarde par exemple ici, la, ici ou la.

A propos d’Amérique: l’association GOLOS, très en pointe pour dénoncer les fraudes en Russie, est financée par les très puissantes associations américaines USAID et NED.  GOLOS vient d’être pris la main dans le sac, si je puis dire, puisque la presse russe vient de publier un échange mail entre la responsable de GOLOS et des responsables de l’USAID, leur demandant combien l’association pourrait facturer (lors de précédentes élections en Russie) pour… Des dénonciations de fraudes et d’abus.

Mais le Buzz informatique sur des élections massivement truquées à bien fonctionné et ce sont sans doute environ 35.000 personnes qui se sont rendus à une grande manifestation samedi dernier à Moscou (j’y ai assisté)  afin de demander de nouvelles élections. La manifestation s’intitulait la révolution des neiges, et les participants portaient des œillets blancs mais également des fleurs. Cette association de symboles fait étrangement penser aux symboles des révolutions de couleurs (appelées également révolutions des fleurs) qui ont eu lieu en Serbie en 2000, en Géorgie en 2003 ou en Ukraine en 2004. Plus étrange encore, le site de la mystérieuse et nouvelle association qui organisait le mouvement s’intitulait de la même façon BelayaLenta. C’est un nom de domaine internet qui a été déposé aux Etats-Unis en octobre 2011...

Cette manifestation était extrêmement intéressante à mon sens. Elle réunissait une galaxie très hétérogène de mouvements politiques et d’associations. Une partie des gens était venu voir ce qui se passait et étaient surpris de l’ampleur du rassemblement. Je décrirais le participant moyen comme un moscovite de la classe moyenne supérieure, jeune et plutôt de sexe masculin, présent car convaincu de s’être fait voler ses voix, lorsqu’il n’était pas simplement hostile au premier ministre Vladimir Poutine. Le meeting était co-organisé par les éternels opposants libéraux Boris Nemtsov, Michael Kassianov et Vladimir Milov, fédérés au sein du Parnas, ainsi que par Serguei Udaltsov, le leader du mouvement d’extrême gauche Front de gauche, également ancien membre de la coalition libérale/communiste "l’Autre Russie", qui rassemblait ultras d’extrême-gauche, nationaux-bolcheviques et libéraux pro-occidentaux.

Les associations libérales et pro-occidentales étaient présentes. Le parti-communiste et Russie Juste étaient aussi représentés, ainsi que divers mouvements d’extrême gauche: des anarchistes , le front de gauche et des mouvements tiers-mondistes. Mais il faut ajouter un autre élément tout à fait inattendu pour un observateur étranger, la présence en force de représentants de l’extrême droite la plus dure, néo-nazis , nationalistes ou encore monarchistes. Les francophones qui liront ce texte se demanderont sans doute comment des gens aussi différents ont pu défiler côte à côte sans heurts. Il y a eu beaucoup de slogans anti-Poutine, mais pas de casseurs en fin de manifestation. Cette animosité à l’égard du premier ministre, dans les slogans, s’est donc exprimée dans des domaines très différents. Pour certains, c’est un autocrate, pour d’autres au contraire il n’est pas assez nationaliste, trop libéral ou pas assez à gauche. Un symbole était absent de cette manifestation, le blogueur Alexeï Navalny, qui semble parfaitement représenter cette synthèse inattendue entre libéraux et radicaux d’extrême droite. Ce blogueur très populaire à l’ouest (plus qu’en Russie), ancien du mouvement libéral Iabloko, est à l’origine du slogan "Russie unie parti des escrocs et des voleurs" qui est repris par les opposants à Vladimir Poutine. C’est aussi Navalny qui a lancé le slogan "vote pour n’importe qui sauf pour Russie Unie". Il a aussi participé cette année à la marche russe, cette marche de l’extrême droite, se "félicitant de pouvoir éduquer cette jeunesse radicale". Mais il s’est également fait pirater sa boite mail, ce qui a permis de mettre en évidence qu’il était (tout comme Golos cité plus haut) salarié de l’association américaine NED (une des structures essentielles de soutien aux révolutions de couleur durant ces dernières années dans l’espace postsoviétiques), mais également en lien étroit avec Alexandre Belov, le représentant d’une structure d’extrême-droite viscéralement anti Kremlin: l’ex-DPNI.

A part l’influence de GOLOS et Navalny, il faut noter que les Etats-Unis ont promis récemment d’augmenter les aides aux associations qui opèrent en Russie, en affirmant que ces aides ne viseraient pas à miner la stabilité politique du pays. Ce dont on peut très sincèrement douter.

J’ai assisté à cette manifestation et deux réflexions principales me viennent à l’esprit.

D’abord le meeting s’est terminé dans le calme: c’était une démonstration de maturité de la société russe, tant au niveau des manifestants que de l’état. Désormais le mythe de l’état répressif sans cesse mis en avant n’est plus valide. Les manifestants ont respecté le cadre légal, tout s’est déroulé sans incidents notables.

Ensuite les revendications sérieuses et constructives de beaucoup de manifestants (médecine gratuite et reforme de l’éducation par exemple), semblaient correspondre aux demandes d’un électorat proche du parti communiste ou de Russie Juste, les partis du nouveau bloc de gauche. Ce bloc de gauche qui va occuper environ 1/3 de la nouvelle assemblée semble donc être la réelle force d’opposition qui a émergé des élections du 4 décembre, bien plus qu’une hypothétique et fantasmatique coalition orange/brune/rouge, réunie dans un meeting organisé par d’éternels perdants ou par des leaders de groupuscules. Il est plausible que désormais la vie politique russe puisse se structurer autour de deux grands blocs: un centre droit autour de Russie Unie et un grand courant de gauche.

Ces deux réflexions me font penser que la vie politique russe devrait ainsi garder sa stabilité, en renvoyant les projets américains de révolution de couleur en Russie aux oubliettes de l’histoire.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

 

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

 

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