Le vin de la discorde

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Le vin géorgien pourrait être de retour sur les tables russes pour le nouvel an. Gros plan sur un conflit commercial qui cristallise les malentendus entre les deux pays.

Il y a quelques mois, alors que j'étais attablé au Genatsvale (un des meilleurs restaurants géorgiens de Moscou), j'ai eu la surprise d'observer que les vins de Géorgie étaient de retour sur le menu après une longue absence. En commandant, j'ai demandé à la serveuse de m'expliquer par quel subterfuge ces bouteilles avaient pu surmonter l'embargo imposé par les autorités sanitaires russes. Sa réponse fut intéressante: désormais, le vin géorgien est mis en bouteille en Grèce, puis importé en Russie, permettant de contourner l'interdit. Je m'étonnais des trésors d'ingéniosité déployés par les viticulteurs géorgiens afin d'écouler leur production dans le pays voisin.

Décrétée en 2006, l'interdiction russe frappant les importations de vin géorgien a constitué un coup dur pour l'économie de ce petit pays aux ressources limitées, dont l'industrie agroalimentaire, vin en tête, constitue un secteur important. Le véto russe signifiait pour le vin géorgien une perte de 80% de son marché (50 à 70 millions de bouteilles par an), un vide rapidement comblé par les importateurs de vins australiens, chiliens et argentins. Les Russes en profitaient même pour ressusciter leur propre production, basée sur les rives de la mer Noire.

Fournisseurs de la Russie depuis l'époque de tsars, les viticulteurs géorgiens ont entamé une longue descente aux enfers pour écouler leur production. En améliorant la qualité des vins, certains producteurs ont toutefois obtenu quelques succès: le Teliani Valley est désormais importé exporté vers 23 pays. Avec 500.000 bouteilles importées en 2009, l'Ukraine devenait le premier marché du vin géorgien, distançant de très loin d'autres pays d'Europe de l'est et les Etats-Unis (44.000). Les consommateurs d'Europe n'étant pas accoutumés aux vins rouge demi-sec au goût sucré, ce marché n'a pas tenu ses promesses.

L'embargo sur les vins géorgiens pourrait toutefois connaître une fin prochaine. Début octobre, le médecin en chef de Russie Guennadi Onichtchenko annonçait que certains vins géorgiens et l'eau minérale Borjomi, également proscrite dans la foulée en 2006, pourraient regagner les tables russes avant la fin de l'année. "Le processus est en marche en grâce aux entrepreneurs géorgiens, qui comprennent que sans le marché russe, le développement de cette filière de l'économie géorgienne est impossible", indiquait le chef des services sanitaires. En filigrane, le message étant que Moscou contribue au bien-être du pays voisin en l'absence totale de contacts avec les autorités géorgiennes sur cette question.

Histoire d'un divorce
Jusqu'à une date récente, les vins géorgiens étaient une véritable institution en Russie. Pas un repas de famille sans vin au nom imprononçable, comme le Kindzmarauli ou le Rkaciteli. Connus pour leurs toasts interminables et leur réputation de séducteurs, les Géorgiens sont de longue date célèbres pour leur cuisine et leur production viticole. Autant que j'ai pu en juger, les Russes éprouvent une profonde sympathie envers leurs voisins géorgiens.

Peuples jadis proches, Russes et Géorgiens ont pourtant connu un divorce très douloureux après la chute de l'URSS. L'indépendance des deux pays dans les années 1990 marquait en Géorgie le début d'une politique de consolidation du pays jouant sur l'opposition contre la Russie, notamment avec l'exclusion de la langue russe de toutes les sphères de la vie publique. En quelques années, cette décision a débouché sur un fossé linguistique profond, la jeunesse géorgienne ne parlant généralement plus la langue de Pouchkine. Sur fond de scandales d'espionnage, Moscou procédait en 2006 à l'expulsion brutale de quelque 3.000 Géorgiens établis en Russie, avec des rafles dans certaines écoles contre les élèves portant un patronyme à consonance géorgienne. Un événement un peu oublié qui a durablement terni les rapports. Dans les relations tumultueuses entre les deux pays ces dernières années, de graves erreurs ont été commises de part et d'autre.

C'est dans ce contexte qu'intervenait en 2006 l'embargo de la Russie sur l'importation de vins géorgiens et moldaves, Moscou pointant leur qualité insuffisante. La décision des services sanitaires russes revêtait, bien entendu, de forts relents politiques. Après d'âpres négociations, certains exportateurs moldaves avaient été autorisés à reprendre les livraisons. Plus tard, l'Abkhazie, un ancien territoire géorgien reconnu par Moscou, pouvait elle aussi expédier son célèbre Psou vers la Russie. Rien de tel pour la Géorgie: "Il est impossible d'affirmer que le retour du vin (géorgien) est pour demain. Il lui faudra encore franchir un long chemin", augurait le chef des autorités sanitaires russes.

Le chemin fut effectivement tortueux, les relations politiques restant tendues. La volonté de Tbilissi d'intégrer l'Union européenne et surtout l'Otan, a débouché sur la création d'un "rideau de fer" de plus en plus imperméable entre les deux pays. En août 2008, les tensions éclataient lors d'une guerre de trois jours. La Géorgie et la Russie s'affrontaient autour de deux républiques sécessionnistes géorgiennes, l'Abkhazie et l'Ossétie du sud.

Marquées au fer rouge par la guerre en août 2008, les relations russo-géorgiennes connaissent une stagnation généralisée qui ne semble pas prête de prendre fin au niveau politique. Le retour du vin géorgien en Russie constituerait le signe d'un possible dégel des relations entre ces deux peuples autrefois si proches.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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