Natalia, non-voyante, prof de littérature à Kostroma

© RIA Novosti . Anna SkoudaïevaNatalia, non-voyante, prof de littérature à Kostroma
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Natalia Tarkovskaïa, qui enseigne la littérature, n’a jamais vu ses élèves.

Natalia Tarkovskaïa, qui enseigne la littérature, n’a jamais vu ses élèves. Il a y longtemps, elle a perdu la vue après une opération ratée. Mais elle n’a pas baissé les bras et a trouvé en elle la force de terminer ses études avec brio sur un pied d’égalité avec les étudiants voyants, d’obtenir un doctorat et elle est devenue la seule enseignante non-voyante de langue russe et de littérature de Kostroma (centre administratif de la région de Kostroma à 300 km au nord-est de Moscou).

Elle voit avec son cœur

Pour ses élèves de CM2, Natalia est comme une deuxième mère. Les parents de beaucoup de ses élèves de l’école spéciale pour enfants aveugles et malvoyants ne sont plus de ce monde, ou ont été déchus de leur autorité parentale.

"Je n’ai pas de méthodes particulières d’éducation. Certes, je ne peux pas voir, mais je sens et je remarque. J’essaie d’éduquer les enfants par la raison. Je leur dis: si vous voulez arriver à quelque chose, utilisez votre intellect. Et les enfants m’écoutent", raconte Natalia près d’une grande étagère supportant des livres très lourds.

"C’est Guerre et Paix." L’édition pour aveugles en braille comprend 29 grands tomes. Il existe certaines différences entre nos livres et les livres normaux, notamment leur taille et, bien sûr, leur poids", explique-t-elle.

Etonnant, mais il n’y a aucun problème de discipline pendant les cours de Natalia Tarkovskaïa. Beaucoup de ses élèves sont malvoyants, mais arrivent tout de même à voir. Cependant, dans leurs jeux, ils ne font jamais de mauvaise blague pour se moquer du handicap de la jeune enseignante.

"Natalia voit tout. Elle voit avec son cœur", disent les élèves en parlant d’elle.

Elle est assise, et en passant rapidement ses doigts délicats sur les pages elle lit aux enfants à voix haute. Ils l’écoutent avec attention. Après la sonnerie, les élèvent ne sortent pas en courant et en criant dans le couloir. Ils viennent voir leur enseignante préférée, lui posent des questions, et la serrent dans leurs bras après sa réponse. On voit rarement ce genre de relations entre un prof et les enfants dans des écoles ordinaires.

"Je pense que le directeur appréhendait de m’engager. Car dans notre établissement il n’y a pas de professeurs complètement aveugles capables d'enseigner la littérature et la langue russe", explique Natalia.

L'exploit des parents

Sa vue a commencé à se dégrader lorsque Natalia est allée à l’école. Les médecins lui ont recommandé de se faire opérer à Moscou. Mais l’intervention a échoué et quelques mois plus tard, à l’âge de neuf ans elle a totalement perdu la vue.

Ses parents ont fait tout leur possible pour atténuer la tragédie de leur fille. La mère de Natalia était ingénieure et son père était mécanicien. Ils emmenaient leur fille à la mer, lui lisaient des centaines de livres, l’accompagnaient et la récupéraient à l’école.

"Ma mère n’a jamais arrêté de travailler. Mais elle s’est quand même entièrement consacrée à moi. Tout ce que j’ai pu réaliser, c’est grâce à elle. Je pense que la réussite dans la vie dépend des parents et des proches qui savent établir un contact psychologique avec l’enfant", déclare Natalia.

En fin de compte elle a brillamment terminé le cycle secondaire, a obtenu son diplôme universitaire avec les félicitations du jury, puis a appris à utiliser un ordinateur et a soutenu un doctorat de philologie après avoir soutenu une thèse sur l'œuvre de l’écrivain Ivan Gontcharov.

L’informatique au service des aveugles

Lorsque Natalia étudiait à l’université, elle a écrit son mémoire en braille. Et pour passer son diplôme, aidée par sa mère elle s’est servie de l’ordinateur pour la rédaction.

Pour les aveugles, l’ordinateur est d’une aide précieuse. Un logiciel spécial qui sonorise toutes les actions a été conçu pour nous. Il permet de travailler avec des textes et de surfer sur internet. La rédaction graphique est la seule chose que ne soit pas encore disponible pour nous", raconte Natalia.

Elle est convaincue que si les enfants non-voyants disposaient d’ordinateurs dès le plus jeune âge et apprenaient à s’en servir, il leur serait bien plus facile de s’adapter dans la vie.

"J’ai un élève très talentueux, Kostia Moskalev. Il est orphelin, et pour l’instant personne ne peut lui acheter le netbook dont il rêve. Je crois que quelqu’un aidera à réaliser son rêve. A l’école j’enseigne aux enfants les bases du travail sur ordinateur et organise des cours facultatifs. Et beaucoup de mes élèves non-voyants m’ont déjà surpassée", poursuit l’enseignante.

Le bonheur d’une femme

Natalia s’est familiarisée avec l’ordinateur il y a quelques années, après avoir assisté à Moscou aux cours d’informatique spécialisés. C’est là qu’elle a connu son futur époux Edouard, qui dispensait les cours pour les étudiants non-voyants.

"Je vivais selon le principe décrit par Omar Khayyâm: il vaut mieux avoir faim que manger n’importe quoi, il vaut mieux être seul que mal accompagné. Et je remercie Dieu et le destin pour ce que j’ai aujourd’hui. Beaucoup d’aveugles ne peuvent pas trouver de travail ni fonder une famille. Mais je suis heureuse", sourit Natalia.

Cette jeune femme modeste de Kostroma, au nom de famille connu, a conquis le cœur de l’enseignant.

"Il y a quelques années la télévision est venue ici pour tourner un film sur Andreï Tarkovski. Il s’avère que nous sommes des parents éloignés", se souvient la jeune femme.

Les journalistes lui ont donné le numéro de téléphone de la sœur du célèbre réalisateur.

"A vrai dire, j’ai toujours voulu l’appeler et lui poser des questions sur nos proches, mais je n’ai jamais osé le faire", reconnaît Natalia.

Edouard a quitté son ancien travail à Moscou pour suivre Natalia à Kostroma, où il a ouvert sa propre entreprise. Ils ont un appartement dans un immeuble voisin de celui des parents de Natalia.

Une longueur d’avance sur les voyants

Natalia accomplit toutes les tâches ménagères elle-même. Chaque jour, sans bénéficier de l’aide de qui que ce soit, elle se rend à son école en utilisant les transports en commun, elle fait elle-même des travaux dans la salle de cours et peint les tables d’école des enfants, et à la maison elle prépare des soupes délicieuses pour son mari.

"En ce qui concerne la cuisine, je pense avoir une longueur d’avance sur les femmes voyantes. Laver les vitres, c’est la seule chose que je n’arrive pas à faire, car on ne peut pas le faire sans voir. Ma mère m’aide pour cela", dit Natalia.

Aujourd’hui, le couple voudrait avoir un enfant. Elle est très déçue lorsque les parents oublient de récupérer leurs enfants à l’école pour le week-end. Elle doit téléphoner aux parents "distraits" pour le leur rappeler.

"J’ai très envie d’avoir deux enfants. Je veux qu’ils grandissent dans le bonheur. Je sais, ce sera difficile, mais j’y arriverai. Les enfants des familles où les parents trouvent non seulement la force de gagner de l’argent, mais également d'avoir un contact réel avec eux, grandissent généralement heureux et réussissent dans la vie", confie Natalia rêveuse.

 

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