Nouvelles sanctions contre Moscou: un suicide juridique pour l'UE

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Le Conseil de l'UE a adopté de nouvelles sanctions contre la Russie qui transgressent cette fois la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que d'autres accords internationaux régissant l'activité économique mondiale.

Le Conseil de l'UE a adopté de nouvelles sanctions contre la Russie, interdisant notamment de financer les plus grandes banques du pays ainsi que les compagnies pétrolières et gazières russes. Les sanctions précédentes entraient déjà en conflit avec la législation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Charte de l'Onu. Cependant, les dernières décisions du Conseil de l'UE transgressent cette fois la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que d'autres accords internationaux régissant l'activité économique mondiale.

Des sanctions sans fondement juridique

Pour commencer, il faut trouver sur quelle base l'UE a adopté ces sanctions - il doit bien y avoir un acte législatif qui fixe la procédure et les fondements juridiques dans ce cas. Et bien non. En adoptant ses sanctions, le Conseil de l'UE s'est référé à l'article 215 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ainsi qu'à l'article 29 du Traité sur l'Union européenne (TUE). Ces deux actes normatifs constituent la base juridique des activités de l'UE.

Cependant, le premier point de l'article 215 du TFUE stipule: "Lorsqu'une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité sur l'Union européenne, prévoit l'interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et de la Commission, adopte les mesures nécessaires".

Alors que chapitre 2 du titre V du TUE ne contient que des dispositions générales sur la politique étrangère de l'UE. La base juridique et l'ordre d'adoption des sanctions sont absents. L'article 29 indique uniquement que "le Conseil adopte des décisions qui définissent la position de l'Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique. Les États membres veillent à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions de l'Union".

Soulignons le point 3 de l'article 215: "Les actes visés au présent article contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques".

Mais quelles "garanties juridiques" a établi l'Union européenne en adoptant ses sanctions?

Le Conseil de l'Europe essaie la robe de juge

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme établit l'engagement de l'Etat à garantir un procès équitable. Il induit, en cas de litige sur les droits et les engagements civiques, le devoir de l'Etat d'assurer un procès juste et public, dans des délais raisonnables, par un tribunal indépendant et impartial.

Mais que voit-on dans la décision du Conseil de l'UE? Le point 1 de l'article 11 stipule clairement que toute plainte et revendication de personnes physiques ou morales russes
(y compris pour l'indemnisation du préjudice), si elles concernent les sanctions, devait être rejetée.

Par son acte normatif l'UE prédétermine donc le sort de toute plainte adressée aux organes juridiques. Ainsi, elle viole non seulement ses propres engagements dans le cadre de la Convention européenne, mais aussi l'un des fondements de la démocratie – le principe de séparation des pouvoirs. Comment un organisme, en dehors du pouvoir judiciaire, peut-il remplacer les décisions de justice par des actes normatifs?

Même les régimes dictatoriaux ne s'étaient jamais abaissés à un tel niveau de cynisme juridique. Au moins "sur le papier", ils laissaient la possibilité à toute personne de défendre ses droits au tribunal. Mais la citadelle de la démocratie se moque des conventions internationales. Tous les masques de la légitimité occidentales sont définitivement tombés.

Les "sous-hommes" ne sont pas admis au tribunal. Et la loi doit indiquer: "Interdiction d'entrer au tribunal, la décision rendue sera contre vous". C'est très légal, démocratique et "à l'européenne".

Et cela ne dérange personne que la Cour européenne ait reconnu en parallèle la Russie coupable d'avoir enfreint le "droit à un procès équitable" dans l'affaire Ioukos. Comme disait un célèbre démocrate européen (visiblement le mentor des dirigeants de l'UE), "tout pour les amis, et la loi pour les ennemis".

Faut-il respecter les engagements

Mais laissons de côté les questions de suprématie du droit et de la démocratie. Ce n'est rien comparé au sabotage, par les "lois européennes", des bases des échanges économiques habituels.

En règle générale, dans le droit international privé, prévaut le principe du pacta sunt servanda – les conventions doivent être respectées. Ce principe est fixé dans la Charte de l'Onu, la Convention de Vienne et signifie que tous les acteurs, dans les relations de droit civil, doivent respecter à la lettre les accords conclus.

On peut donc dire sans exagération que toute l'activité économique mondiale repose sur ce principe, qui assure la prévisibilité des relations économiques. Chaque acteur est en droit de compter sur le respect des engagements par l'autre partie.

Mais voici que surgit l'UE avec ses sanctions - et tout ce système s'effondre. C'est un précédent dangereux, car désormais tout acteur économique peut renoncer à accomplir ses engagements (par exemple en refusant de payer ses dettes pour une marchandise livrée) en prenant les sanctions pour prétexte.

Selon la décision du Conseil de l'UE, c'est désormais au créancier de prouver que la transaction n'enfreint pas les interdictions imposées par les sanctions. Autrement dit, il est très pratique pour le débiteur prendre les sanctions pour prétexte afin de ne pas tenir ses engagements. Il n'y a rien à prouver ou à argumenter face aux juges. Et on devine facilement quelle décision prendrait dans ce cas le tribunal européen le plus juste.

Tous les coups sont permis

L'affaire ne se limitera pas aux pertes des entreprises russes et européennes. En prenant des décisions clairement illégales, l'Union européenne est la première à ouvrir la boîte de Pandore.

Au final, les échanges économiques normaux, basés sur le droit et le profit mutuel, ont cédé la place à une guerre commerciale croissante et à l'anarchie. Quand les principaux fondamentaux de l'Europe sont enfreints, il s'avère que tout le reste est permis. C'est là que réside le principal danger de la guerre de sanctions – la possibilité de se retrouver dans un monde d'anarchie économique et de chaos.

Quels autres chefs-d'œuvre de "légitimité révolutionnaire" proposera l'UE – la nationalisation, l'expropriation? Si elle juge possible et juste toute action illégitime contre la Russie, cette dernière doit trouver un moyen de se protéger – et elle répondra probablement par des mesures symétriques.

Etant donné la dépendance commerciale et énergétique qui demeure entre l'Europe et la Russie, les conséquences seront graves pour les euro-bureaucrates. Et ils finiront dans le trou qu'ils ont eux-mêmes creusé.

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