Référendum écossais: qu'en pensent les Chinois?

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La communauté des experts chinois se demande avec stupéfaction quelle maladie a rendu possible l'éclatement d'un grand Etat européen - et pourquoi pas de plusieurs autres après lui.

Les commentaires officiels de Pékin concernant le prochain référendum sur l'indépendance de l'Ecosse sont peu nombreux – en règle générale les Etats normaux jugent avec prudence les affaires intérieures d'autres pays, voire préfèrent ne pas le faire. Par contre, la communauté des experts chinois se demande avec stupéfaction quelle maladie a rendu possible l'éclatement d'un grand Etat européen - et pourquoi pas de plusieurs autres après lui. Les commentateurs essaient également de déterminer comment la Chine et d'autres pays pourraient éviter un effet de contagion.

4% des Ecossais scelleront le sort du Royaume-Uni

Dans la presse, les commentaires écrits par des experts chinois n'ont jamais rien de superficiel et ne cachent pas l'émotion de leur auteur. Ce style pourrait paraître fastidieux ou sembler recourir à trop d'aphorismes mais parfois, il se montre très efficace en faisant passer des idées très simples, voire évidentes.

Voici un exemple, tiré du plus grand journal chinois Le Quotidien du Peuple, au titre laconique: "La minorité décidera-t-elle du sort du Royaume-Uni?".

On se demande pourquoi une idée aussi simple n'est pas prononcée à voix haute en Europe, perdue dans le flux de l'information. C'est pourtant vrai. 8% des habitants du Royaume-Uni - les Ecossais - décideront de la division d'un pays où vivent encore les 92% restants de la population.

On peut même pousser la réflexion: en réalité 4% des citoyens du Royaume-Uni prendront cette décision, dans la mesure où les sondages montrent que les sentiments des Ecossais sont partagés à pratiquement 50/50. La décision finale sera donc prise par 4% de la population plus une voix. Le journaliste chinois ajoute qu'en organisant ce référendum, le premier ministre David Cameron pensait que la démocratie réglerait tous les problèmes - mais aujourd'hui l'effondrement de l'Europe se profile à l'horizon.

Le journaliste énumère les cas de séparatisme en Catalogne (Espagne), dans le comté de Flandre en Belgique, en omettant la république de Venise et en oubliant complètement l'Ukraine… Mais il met le doigt sur un fait évident: avant la Première Guerre mondiale il n'existait que 19 Etats en Europe, alors qu'aujourd'hui l'Union européenne compte 28 membres. Et en laissant le séparatisme sévir, il deviendra inutile de parler d'intégration européenne. Sans dire que dans le cas présent la minorité décide du sort de la majorité.

Posons-nous deux questions logiques. Pourquoi les Chinois sont-ils concernés par le sort de l'Europe sur ce dossier? Et pourquoi s'intéresser à l'avis de la Chine sur ce problème qui, pour elle, se trouve de l'autre côté du globe?

Un sentiment de compassion pour les Européens

Est-ce que les Chinois apprécient l'Europe? Bonne question. Il y a un siècle, quand les puissances coloniales arrachaient à la Chine territoire après territoire, les Européens n'y étaient pas très populaires. Mais aujourd'hui, alors qu'elle est devenue la deuxième économie mondiale et pourrait prendre la première place devant les Etats-Unis, les sentiments ont changé. L'attitude des Chinois à l'égard du Japon n'a pas changé – mais c'est un cas d'antagonisme particulier. Tout comme l'attitude à l'égard des Etats-Unis, militairement plus forts que la Chine. Quant aux Européens, les Chinois semblent les regarder avec compassion et même de la pitié, face à ces pays qui se font du mal eux-mêmes.

L'article précité du Quotidien du Peuple aborde l'Europe comme une terre d'opportunités économiques pour les entreprises chinoises, même s'il ne l'indique pas directement. Il explique que si le déclin de l'économie européenne se poursuivait dans le contexte d'un renforcement des pays émergents - la Chine, avant tout - cela saperait le système de domination de la société occidentale et, avec lui, les fondements de la stabilité. Les pays occidentaux jouissaient jusqu'ici d'un haut niveau de vie en profitant de l'injustice de l'ordre mondial, mais ils sont maintenant confrontés à des problèmes au sein de leur propre société.

Par ailleurs, la Chine est devenue le premier partenaire économique de l'Afrique et pourrait, à terme, revendiquer ce rôle en Amérique Latine - sans parler de l'Asie. Mais pour Pékin, il est encore trop tôt pour perdre le partenaire économique qu'est l'Europe.

Surtout, la Chine ne veut pas que l'Europe crée un précédent en matière d'indépendance des territoires. Si elle abrite également deux vastes régions où la population ethnique est différente de la majorité (le Xinjiang et le Tibet), il faut aussi relever un aspect moins évident: l'éclatement incontrôlé de nombreux pays à travers le monde, et pas seulement en Europe, ne serait pas très agréable pour une puissance qui vient d'arriver au niveau de leader mondial. Où exercerait-elle alors son leadership? Parmi quelles entités?

La Chine est obligée de réfléchir de manière globale. Ce comportement est dicté par l'économie mondiale et, dans le cas de l'Europe, par les investissements chinois dans la région, y compris au Royaume-Uni. Un autre article du Quotidien du peuple, écrit par un professeur dans une académie militaire - un homme qui doit appeler son pays à être prêt à parer toute menace - avance: "Le monde est entré dans sa troisième phase d'évolution et se dirige vers une troisième guerre mondiale. Auparavant, les guerres visaient à conquérir des territoires agricoles (source de revenus). Puis des colonies. Aujourd'hui: l'espace, le cyberespace et l'océan. La Chine devra s'adapter aux défis et aux risques".

Quand on compare les deux articles on voit un certain ahurissement des Chinois face au risque de transformation de ce monde en chaos, où on ne comprendra plus du tout qui est avec qui et pour se disputer quoi…

Le mal du séparatisme

Et voilà pourquoi l'avis des Chinois doit nous intéresser. Le fait est que l'ascension de nouvelles superpuissances influe toujours sur l'économie, mais aussi représente une alternative idéologique.

La Chine est cependant connue depuis des millénaires pour sa réticence à exporter son idéologie, à la différence de l'Occident. Beaucoup venaient en Chine pour y apprendre sa sagesse, mais jamais elle n'a imposé son mode de vie aux autres – au contraire des Etats-Unis, forme extrême de la civilisation occidentale.

Aujourd'hui pourtant, les Chinois diagnostiquent sans erreur la pathologie qui, dans l'évolution de la démocratie, pourrait mener vers l'effondrement des sociétés occidentales elles-mêmes. Et que proposent-ils?

Rappelons que le séparatisme - une activité qui conduit à l'éclatement d'un Etat - est considéré dans l'idéologie chinoise comme un mal mondial comparable au terrorisme. Souvent, il est vrai, les deux mouvements s'entremêlent. Et il y a seulement quelques jours, le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Douchanbé a confirmé ces formulations - l'OCS représente la Russie, les pays d'Asie centrale et sera bientôt rejointe par l'Inde et le Pakistan. En effet, c'est une alternative idéologique très claire, même si elle a quelque chose d'excessivement défensif. La minorité ne doit pas prendre la majorité par la gorge – dans l'ensemble c'est clair, mais que faire des nombreux cas particuliers?

Le plus intéressant, dans ce sens, est d'observer l'opinion de la Chine concernant les événements en Ukraine. Elle est complexe et reste discrète, faute d'avoir pu se développer complètement. On semble précisément assister à un cas de séparatisme. Ou, comme a dit une jeune peintre de Kiev à propos des habitants du Donbass: "Ils ne veulent pas vivre avec nous dans un même pays, alors comment ne pas les tuer?" (c'est bien ce qu'elle a déclaré, sans blague). Les nationalistes ukrainiens ont essayé d'imposer leur idée de l'unité en faisant usage d'une force extrême et cruelle – pour quel résultat? Et quelles conséquences futures?

La Chine observe tristement la situation et tente d'en tirer des conclusions. Notons qu'au sommet de l'OCS, les positions de Moscou et de Pékin concernant les deux républiques du Donbass ont coïncidé: elles doivent rester pour l'instant au sein de l'Ukraine, mais cette dernière doit changer son comportement et ne pas leur imposer une norme de vie et une idéologie communes car c'était une erreur. En ce qui concerne la Crimée, les experts chinois ont leur propre version également: ce n'est pas du tout du séparatisme ou un éclatement des Etats, au contraire, c'est la réponse au mal du séparatisme (la séparation de l'Ukraine de la Russie) et une mise à jour nécessaire des frontières.

Nous sommes entrés dans un nouveau monde, avec de nouveaux leaders, de nouvelles idées. Pour l'instant pas très claires.

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