"La première chose à comprendre c’est que les Russes ne sont pas des Français"

© Photo Nicolas DNicolas D (à gauche), ex-policier français devenu boulanger en Russie
Nicolas D (à gauche), ex-policier français devenu boulanger en Russie - Sputnik Afrique
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Dans un entretien, l'ancien policier devenu boulanger nous explique ses raisons et son installation en Russie comme entrepreneur.

Dans un entretien, l'ancien policier devenu boulanger nous explique ses raisons et son installation en Russie comme entrepreneur.

LVdlR: Nicolas, qu'est-ce qui vous a poussé à partir vivre en Russie et surtout à vouloir monter une boulangerie?

Nicolas D.: "J’ai la chance de connaître beaucoup de monde à Kazan et, sans toutes ces personnes, c’est impossible pour un étranger de venir s’installer ici. L’administration est un vrai sac de nœuds et il est très facile de perdre tout son argent et de repartir sans rien si on n’a pas un caractère que les gens respectent ou des gens qui vous aident sincèrement. Il faut aussi ne pas faire de sentiments et c’est avec ça que j’ai eu le plus de mal. La première chose à comprendre c’est que les Russes ne sont pas des Français. S’adapter un temps à leur mode de fonctionnement et comprendre comment ils font du business est primordial. Une fois cela fait, tout va bien. J’ai passé des années en France à râler après les étrangers qui ne parlaient pas la langue au bout de 10 ans, qui vivaient en communautés, sans s’intégrer, etc… j’ai donc appliqué mes ronchonneries à moi-même et je m’adapte, m’intègre, participe aux fêtes religieuses et folkloriques. J’aide les mamies de mon immeuble ou les gens dans la rue. Je laisse ma place dans le bus comme le font tous les Russes et comme j’étais un des rares à le faire en France. C’est au final très plaisant et c’est un très bon moyen de se faire apprécier et de s’intégrer."

LVdlR: Vous êtes à Kazan. Pourquoi ne pas avoir choisi la capitale russe?

Nicolas D.: "Trop gris, trop de monde, trop de bouchons, trop cher. Kazan est superbe. Les gens sont tolérants, qu'ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. Tout le monde vit en harmonie. Il y a beaucoup de couples inter-religions où le mari attend 21 heures en période de ramadan pour manger avec son épouse et où la femme musulmane prépare le « kulitch » ou des œufs de Pâques pour son mari et fait des petits plats à noël. C’est à en rêver de voir ça en France un jour mais je n’y crois pas. Les Français ont été trop longtemps passifs et gentillets avec les autres religions et ils se sont aujourd’hui fait « manger ».

Kazan permet de voir le ciel. On a avec ces routes à quatre ou cinq voies une sensation de liberté. Le soir vous pouvez décider de rentrer du restaurant avec votre épouse à n’importe quelle heure, à pied. Personne ne viendra vous agresser. Les femmes sont belles et personne ne les traite de « sale pute blanche ». Les hommes regardent, essayent de placer un regard pour séduire et je trouve ça beau. Dans chaque chose je vois une âme russe poétique et rêveuse, ce qui est très bien mais pas dans leur travail. Pour ça c’est une autre histoire."

LVdlR: Quelles étapes avez-vous suivies pour vous installer en Russie et pour y avoir le droit d'ouvrir une boulangerie?

Nicolas D: "Cela a été très dur psychologiquement, surtout au début, et de ne jamais s’arrêter même en cas de doute malgré les critiques. Les gens qui vous disent qu’on ne va pas y arriver, essayer de peser les décisions, de connaître au mieux les gens, d’apprendre à connaître le milieu ou j’allais m’installer. Je n’ai compté sur personne. J’ai demandé de l’aide. On m’a reçu mais je n'ai jamais reçu aucune suite à ces rendez-vous. J’ai donc tout fait par moi-même. Ensuite, une fois le système enclenché, tout se fait lentement mais sûrement, contrairement à ce qu’on m’avait dit (encore des clichés). On ne m’a pas demandé d’argent. On m’a plutôt bien reçu. Je me retrouvais même parfois devant des chefs de certains services qui voulaient me voir car comme j’avais été policier et eux aussi, nous avions des choses à nous dire, c’était très enrichissant et intéressant."

LVdlR: Quel budget faut-il pour ouvrir une boulangerie en Russie?

Nicolas D.: "Le budget c’est 30% du tout. Le plus important étant le caractère qu’on a et l’envie de réussir car une fois lancé, il ne faut jamais stopper. Donc pour le budget je dirais qu’avec 2.500.000 roubles, quelqu’un peut matériellement s’installer, mais…car il y a un mais…il doit être très professionnel et savoir se débrouiller comme nous le faisons avec les fours russes… et ça c’est une autre paire de manches. Le four russe coûte 1.000 euros. Le four européen de boulangerie est à 25.000 euros. J’ai donc mon ami boulanger, Etienne, qui est venu avec moi en Russie et qui sait magiquement tout faire avec tout ce matériel. Et j’en profite pour le remercier encore une fois."

LVdlR: Est-ce difficile de s'installer comme entrepreneur en Russie?

Nicolas D.: "Oui et non…comme je l’ai dit, tout dépend de votre caractère. Si vous êtes timide, hésitant, n’y pensez même pas. Si vous n’avez pas des connaissances parmi les élites (je parle d’amis, pas de corruption) ou des amis qui font tout pour vous, n’y pensez pas non plus. Même si vous êtes riche et que vous pensez payer quelqu’un en Russie pour tout faire pour vous, arrêtez d’y penser. Je dirais qu’il y a de grandes chances pour que votre budget s’amenuise chaque jour sans voir de résultat.

La solution c’est la famille, les amis. Il ne faut pas avoir peur de pousser les portes quelles qu’elles soient ou de faire confiance à un européen. Mais là encore ce n’est pas gagné. Le premier Européen que j’ai rencontré à Kazan était un Italien et il a essayé de m’escroquer."

LVdlR: Quels conseils donneriez-vous aux Français qui seraient tentés par cette aventure russe?

Nicolas D.: "Me téléphoner ou venir me voir! Venir vivre ici et se tisser un réseau d’amis et de connaissances pendant 8-10 mois puis se lancer dans son projet avec en tête les gens en qui ils peuvent avoir une confiance aveugle, des gens testés avant bien entendu.

LVdlR: Que proposez-vous dans votre boulangerie?

Nicolas D.: "Nous produisons exactement la même chose que dans une boulangerie française en France. Malgré le four russe (et je dis ça pour tous les boulangers en Russie qui m’ont dit qu’on arrive à rien avec la farine russe), mon ami Etienne arrive à sortir des pains et des baguettes splendides. Mais nous préférons utiliser de la farine française que j’importe de France et nous vendons ces pains au public. Pour le reste ce sont des macarons 100% faits maison, des croissants, des pains au chocolat, des galettes, des gâteaux comme des fraisiers, des mousses chocolat-pistaches, des financiers, des petits sablés pour les enfants ou, comme je dis, des croissants avec des « trucs » dedans. C’est comme une hérésie mais les Russes aiment beaucoup ça. Donc j’y mets du jambon, du fromage, de la salade, des tomates et parfois du camembert.

LVdlR: Pensez-vous rentrer un jour en France?

Nicolas D.: "Non, c’est trop dangereux, de plus en plus de gens quittent la France. Les Français que je rencontre en Russie, car ils sont là pour le travail ou les vacances, me disent tous qu’ils pensent aussi à partir. Les Français sont surchargés de taxes. Ils en ont marre de ne pas être protégés et de la dangerosité des rues, etc….imaginez que des amies à moi en France se sont teintes en brunes car elles en avaient assez d’être accostées dans la rue par ce que j’appellerais des « jeunes » … qui ne sont pas des auvergnats.

Après, ces gens sont taxés de racistes. Même avoir le drapeau français à la main est devenu raciste en France. Lorsque je vois tous les ans en Russie les enfants apporter des fleurs aux grands-pères et aux grand-mères médaillés ou ayant fait la guerre, je vois ces gens pleurer. C'est une grande émotion. Lorsque je vois les maîtresses d’école crouler sous les fleurs le jour de la rentrée ou sous les cadeaux durant l’année, comme pour la « journée des enseignants » où les parents d’élèves se cotisent pour payer une journée de voyage en bateau sur la Volga à l'institutrice de leurs enfants pour la remercier de ce qu’elle fait … ça aussi c’est des émotions. Je me dis que les Français feraient bien de retrouver ces valeurs et le patriotisme car la France c’est toujours le pays où je suis né et que j’aime. Mais cela fait très mal de voir ce qu’ils en font en ce moment."

Propos recueillis par Olivier Renault, La Voix de la Russie

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