Ukraine: la guerre révèle les failles de l'armée

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L'opération militaire de l'armée ukrainienne contre les indépendantistes du sud-est du pays n'a encore donné aucun résultat. Mais elle a révélé la présence de sérieux problèmes dans les structures de force ukrainiennes.

L'opération militaire de l'armée ukrainienne contre les indépendantistes du sud-est du pays n'a encore donné aucun résultat. Mais elle a révélé la présence de sérieux problèmes dans les structures de force ukrainiennes.

La faiblesse flagrante de l'armée et des forces intérieures, compensée par l'usage non sélectif de la force et les tentatives d'utiliser des formations gouvernementales volontaires, risquent non seulement de faire échouer l'opération mais surtout d'entraîner des conséquences catastrophiques pour l'Ukraine dans l'ensemble.

La liquidation du patrimoine

Après la chute de l'URSS, l'Ukraine avait pourtant hérité de l'une des plus puissantes composantes de l'armée soviétique. Mais elle n'a pas réussi à déterminer de mission pour sa machine militaire ni envisager ses perspectives d'évolution.

La principale orientation durant toute cette période était la liquidation du matériel militaire et des armes hérités. L'Ukraine fait aujourd'hui partie des dix plus grands exportateurs d'armes et les revenus annuels de ce secteur dépassent 1 milliard de dollars. Sachant qu'une grande partie de ces revenus viennent des exportations de matériel d'occasion d'origine soviétique: des armes d'infanterie aux mortiers, chars et chasseurs.

Les exportations de matériel fabriqué en Ukraine sont très limitées et rencontrent certains problèmes: ainsi, après avoir livré au Pakistan 320 chars T-80UD entre 1996 et 1999, construits en grande partie grâce aux acquis soviétiques, l'Ukraine n'a pas réussi à assurer leur promotion sur le marché, ni celle du char modernisé de cette version T-84 Oplot. Au final, la signature de l'unique contrat pour la fourniture de ces chars signé en 2011 avec la Thaïlande a échoué.

Le matériel blindé s'en est un peu mieux sorti: l'Ukraine a réussi à exporter plus de 250 véhicules de transport de troupes BTR-3 conçus à Kharkov, mais l'expansion des ventes et l'écoulement du nouveau BTR-4 connaissent des difficultés en raison de la mauvaise qualité du blindage. En particulier, l'Irak a refusé de signer le contrat pour 420 BTR-4 à cause de ce détail. Le client a refusé le lot de véhicules déjà déchargés, recevant au total moins de 100 VTT, dont la plupart ne sont pas exploités pour des raisons techniques. Au final, au printemps 2014 les BTR-4 "refusés" ont été mis en service au sein de l'armée ukrainienne.

Les bénéfices de la coopération avec la Russie pour l'armée ukrainienne

L'Ukraine a connu un succès notable dans la coopération militaro-technique avec la Russie. Les entreprises ukrainiennes impliquées dans la collaboration industrielle pour la fabrication d'armements russes continuent à travailler.

Cela concerne avant tout la compagnie Motor-Sitch de Zaporojie, principal producteur de moteurs à réaction et à hélice pour les hélicoptères et certains avions, notamment de transport; Zoria-Machproekt de Nikolaev, fournisseur de turbines motrices pour les navires; le bureau d'étude Ioujnoe et l'usine Ioujmach de Dniepropetrovsk, qui participent à l'entretien technique du missile intercontinental R-36M2 Voevoda et à la fabrication de lanceurs Zenit; ou encore le bureau d'étude Antonov.

Cependant cette coopération n'a eu aucune incidence sur l'état technique de l'armée ukrainienne, qui s'est progressivement dégradé. Sur plus de 3 500 chars et d'autres véhicules blindés inventoriés, l'armée ukrainienne a pu en utiliser, à l'automne 2014, moins de 10%.

Même chose pour le personnel: selon des sources ukrainiennes, le nombre d'unités opérationnelles de l'armée de terre début mars 2014 ne dépassait pas 6 000 hommes, sachant que l'armée de terre ukrainienne compte plus de 40 000 soldats et que l'ensemble des forces armées du pays s'élève à presque 170 000 hommes.

Une réforme en retard

Les problèmes de développement de l'armée ukrainienne ressemblent à ceux qu'a pu connaître la Russie. Jusqu'au milieu des années 2000, cette dernière a effectivement éprouvé d'énormes problèmes en matière de préparation opérationnelle et de matériel.

La dégradation de l'armée russe a pu être surmontée grâce à la réforme militaire radicale lancée en 2007-2008 par le ministre de la Défense Anatoli Serdioukov et le chef d'état-major des armées, Nikolaï Makarov. En dépit de tous les frais et des erreurs commises durant cette période, les principaux acquis restent la formation d'une structure contrôlable de l'armée, l'initiation du réarmement, et l'amélioration significative de la préparation du personnel - qui était impossible dans l'ancienne structure basée sur un nombre minimal de soldats avec un niveau d'équipement extrêmement bas.

Le succès de la réforme russe s'explique à la fois par la hausse du budget militaire et les mesures organisationnelles, qui ont permis de former en 2009-2013 le "nouveau modèle" des unités opérationnelles dans l'ensemble des forces armées russes. Avec l'arrivée de
Sergueï Choïgou à la tête du ministère de la Défense, la ligne stratégique de développement de l'armée russe est restée inchangée.

Une telle réforme aurait également pu sauver l'Ukraine mais en raison de l'état plus délabré de son armée et de capacités financières moindres, il aurait fallu agir de manière plus radicale.

Selon certains spécialistes, une armée plus compacte conviendrait davantage à l'Ukraine, avec tout au plus 50 000 hommes. Cela permettrait, dans le cadre du budget militaire actuel
(un peu plus de 2 milliards de dollars) de constituer des unités opérationnelles sous contrat ou mixtes et de leur assurer une formation intensive avec du matériel militaire moderne – aussi bien national qu'importé.

Dans la situation concrète d'avril 2014, l'armée ukrainienne aurait pu mobiliser rapidement son contingent dans l'est du pays avec autant d'hommes qu'à l'heure actuelle - 15 000 à 20 000 soldats - mais bien mieux formés et armés. Dans un tel scénario la résistance dans les régions de Donetsk et de Lougansk aurait pu être étouffée avant même de commencer.

Cependant, cette réforme n'a pas été mise en œuvre - sans compter l'annulation du service militaire obligatoire en automne 2013, qui a tenu moins de six mois.

Le modèle africain

Aujourd'hui, la situation évolue dans le sens opposé. Le gouvernement ukrainien, après avoir rétabli le service militaire obligatoire et annoncé une mobilisation partielle, cherche aujourd'hui à accroître le nombre de troupes contrôlables, sans pour autant disposer des moyens pour leur entretien, approvisionnement et formation.

Les problèmes sont également aggravés par l'attitude sceptique de la population par rapport à la mobilisation annoncée. Par exemple la région de Soumy, tout à fait loyale envers les autorités de Kiev, n'a réussi à mettre dans les rangs que 267 des 1 950 hommes convoqués à effectuer leur service militaire au printemps 2014. D'autres régions ne font pas exception. Sachant que le parlement ukrainien a l'intention d'augmenter l'âge du service obligatoire à 60 ans. Dans les circonstances actuelles, une telle approche risque plutôt d'abaisser l'efficacité de l'armée et, avec elle, la loyauté de la population.

Toutefois, une autre approche de la structuration militaire et une réforme radicale de l'armée est impossible dans les conditions du système gouvernemental qui s'est établi en Ukraine en plus de vingt ans.

De fait, le pays a été divisé en propriétés féodales possédées par les structures oligarchiques et la verticale du pouvoir, y compris l'armée, en a profité pour s'enrichir au lieu de réfléchir aux réformes.

Ainsi, la dégradation de l'armée a entraîné l'"africanisation" du conflit: on tente de compenser la dotation, la formation et la motivation insuffisantes de l'armée par un usage démesuré d'armements lourds et la formation d'unités "volontaires" avec une motivation idéologique.

Ces deux voies témoignent de la mauvaise appréciation de la situation par le nouveau gouvernement ukrainien: les tirs d'artillerie sur les quartiers résidentiels et l'utilisation d'unités volontaires qui se prennent pour des châtieurs ne peuvent que durcir la résistance, lui assurant un plus grand soutien sur les territoires contrôlés et la compassion en dehors de ces derniers.

Couplée à la situation économique, la perpétuation des actes de ce genre pourrait anéantir l'Ukraine.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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