La crise ukrainienne et le silence de la Chine

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Le "grand muet" de la politique internationale, Pékin, semble ne pas participer à la crise ukrainienne – en effet, il n'en parle pas. Mais si la Chine ne dit rien, c'est probablement parce que Pékin considère l'histoire en Ukraine comme l'essai des techniques de dissuasion de la Chine.

Le "grand muet" de la politique internationale, Pékin, semble ne pas participer à la crise ukrainienne – en effet, il n'en parle pas. Mais si la Chine ne dit rien,  c'est probablement parce que Pékin considère l'histoire en Ukraine comme l'essai des techniques de dissuasion de la Chine. Elle s'efforce donc de rester prudente dans ses déclarations - répétant qu'une crise doit être réglée par le biais de négociations - et raisonnable dans ses actions.

"Pas notre affaire" ?

La principale particularité de la crise actuelle est qu'elle occupe plus d'espace médiatique que la guerre en Syrie, les révolutions arabes ou encore le conflit russo-géorgien en Ossétie du Sud. On a depuis longtemps noté que les acteurs directs du conflit en Ukraine vivaient dans des réalités différentes (avant tout médiatiques), et que la même chose se produisait dans d'autres pays, comme aux Etats-Unis qui testent en Ukraine leur toute-puissance - ou impuissance - médiatique.

Mais dans quelle réalité vit la Chine et ses 1,367 milliard d'habitants ? Dans cet article standard sur le résultat des référendums dans les régions de Donetsk et de Lougansk, à première vue, la position est strictement neutre : on présente les points de vue de l'est de l'Ukraine et de Kiev. Mais les organisateurs du référendum sont qualifiés de "groupe dissident" et la République de Donetsk y est décrite comme "auto-proclamée".

Pour ceux qui sont familiers de la politique chinoise, les allusions sont claires. Sur l'arène internationale la Chine lutte contre "trois maux" : le terrorisme, l'extrémisme et le séparatisme. Imaginez que pour une raison quelconque, le pouvoir en Chine s'affaiblisse, qu'un groupuscule de l'autonomie de Xinjiang organise un référendum… Ou au Tibet, ou encore à Taïwan pour proclamer leur séparation de la Chine. Dans l'ensemble, il est évident que Pékin ne soutiendrait pas le séparatisme, estimant à juste titre qu'il existe une solution à tout problème, par la négociation. Y compris pour le problème taïwanais, même si cela prenait 50 ou 100 ans.

Il serait utile, bien sûr, de comparer ce texte avec un article standard occidental.  Le contraste est flagrant, bien que les deux parties s'efforcent de paraître objectives. Premièrement, Xinhua ne cherche pas à remettre en question les résultats du référendum - alors que Reuters y fait allusion. Mais deuxièmement, on constate une sérieuse différence dans la taille des articles. L'article chinois est nettement plus court. Traduction : ce n'est pas notre affaire.

Ukraine, un signal inquiétant

Mais dans ce cas, quelles sont "leurs affaires" ? Les premières pages de pratiquement toutes les sources médiatiques chinoises montrent les priorités du pays : le lancement du projet chinois de construction d'une voie ferroviaire en Afrique de l'est et la discussion du projet similaire de la Chine vers l'Alaska en passant par la Russie ; l'arrestation de pêcheurs chinois dans les eaux territoriales contestées par les autorités philippines ; la nécessité d'une coopération internationale pour lutter contre le terrorisme et le séparatisme (surtout à Xinjiang). Mais ce qui intéresse surtout, c'est l'idée selon laquelle les Chinois ont besoin d'une vie meilleure (notamment des contrats internationaux ferroviaires bénéfiques), et pas simplement du statut de première économie mondiale.

Début mai, la Banque mondiale a publié ses nouveaux pronostics selon lesquels le PIB chinois ne dépasserait pas celui des USA en 2019 - comme elle le prévoyait auparavant - mais cette année.

Les Américains et les Européens devraient crier "Et que faites-vous du PIB par habitant ?". Mais ce sont les Chinois qui crient. Parce qu'ils ont parfaitement conscience de la sensibilité du moment. L'heure est venue où l'Occident a perdu son… quoi ? Pour l'instant, simplement le droit moral de dire que la civilisation ou le système occidental est plus fort ou plus efficace. Mais Pékin estime à juste titre qu'il sentira passer cette victoire morale (pas très nécessaire à la Chine).

La liste des désagréments attendus est précisément celle des thèmes d'actualité dans les médias chinois. Par exemple, les revendications territoriales des pays relativement peu puissants tels que les Philippines ou le Viêt Nam. Mais les petits pays n'agissent pas en solitaire, les Etats-Unis tentent de former une sorte de front uni avec le Japon ; la presse chinoise écrit tous les jours à ce sujet.

Dans la liste des problèmes éventuels on trouve aussi le terrorisme et le séparatisme, c'est-à-dire soit le sabotage de la Chine de l'intérieur, soit la création de problèmes à ses frontières. Et dans ce contexte l'Ukraine semble être un thème pertinent pour Pékin.

Selon certaines informations, les analystes chinois voient les événements en Ukraine (à commencer par la sortie sur le Maïdan des premiers manifestants) comme une diversion de l'Occident pour placer la Russie dans une situation difficile, où toute action ou inaction est susceptible de causer de grands problèmes à Moscou. Autrement dit, ils s'essaient à la situation. Et les analystes semblent avoir raison, c'est exactement le cas. Et l'éveil des démons du séparatisme par les événements, ce ne sont que des détails.

Mais contrairement à Moscou, Pékin peut se permettre de ne rien faire pour l'instant, d'observer l'évolution de la situation à distance et d'en tirer des leçons. Pékin est-il du côté de la Russie dans cette histoire ? Bien sûr, et il est loin d'être le seul. Mais il est avant tout de son propre côté.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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