Manning n'est pas un traître, juste un mauvais soldat

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Peu importe de combien d'années de prison écopera le soldat Bradley Manning qui a transmis près de 700 000 documents confidentiels au site WikiLeaks.

Peu importe de combien d'années de prison écopera le soldat Bradley Manning qui a transmis près de 700 000 documents confidentiels au site WikiLeaks.

Mais il est à noter qu'il a été disculpé pour l'article 104 – "collusion avec l'ennemi". Il n'a pas aidé l'ennemi, estime le tribunal, mais même sans cela, il a fait beaucoup de tort à son pays.

Lorsqu'on commence à creuser dans cette histoire, on s'aperçoit que le procès de Manning touche certains fondements communs de la société actuelle, de l'Etat, et pas seulement américain. Bien que les Américains et leurs idéologies soient très irritants, on pourrait dire que beaucoup de choses nous rapprochent d'eux. Des choses basiques que l'on ne remarque pas forcément. Y compris l'attitude envers les individus tels que Manning.

Car il ne s'agit pas de relations entre les Etats, mais des droits et des devoirs d'un soldat. Or un soldat est toujours un soldat, quel que soit l'Etat qu'il sert et pour lequel il combat.

Le geek informatique Manning n'a pas aidé l'ennemi

En fait, c'est un gars très ordinaire. Taille moyenne, lunettes, avec un air intello… Il fait de la peine. Manning s'est retrouvé dans une guerre très sale et perdu d'avance en y restant en fait, y compris au vu de son apparence physique, celle d'un geek informatique. Il a servi dans le renseignement, mais il n'était pas un agent de terrain : il traitait des informations. Il n'avait pas beaucoup de contacts avec ses camarades (probablement en raison de son orientation sexuelle).

Il a été jugé par une femme, le colonel Denise Lind. Elle a eu l'intelligence de rendre le verdict sur le plus lourd des chefs d'inculpation : non, il n'a pas aidé l'ennemi. Elle a interprété cet article comme une question d'intentions et de motifs.

En effet, Manning n'a pas tenté de transmettre les informations aux Irakiens, il les a envoyées à Julian Assange et son site WikiLeaks. En fait, une secte supranationale qui ne lutte même pas contre l'Amérique, mais contre l'Etat en soi en tant qu'un "appareil d'oppression".

Par ailleurs, le procureur militaire qui incriminait Manning a lui-même contribué à sa disculpation pour l'article 104 en formulant les motifs de l'accusé ainsi : "toucher le public le plus large possible et promouvoir sa propre recherche de la célébrité".

Un homme qui aide l'ennemi est un traître, car l'ennemi peut nuire à ceux qui sont sur la ligne du front, voire à tous les habitants du pays. Autrement dit, un collaborateur de l'ennemi nuit à ses propres frères d'armes, qui seront tués en plus grand nombre suite à sa trahison. Et peu importe quelle est la guerre en question. Après tout, ce ne sont pas eux qui l'ont commencée.

Et la juge a raison – Manning n'est pas dans cette catégorie. Il est plutôt le héros de la plaisanterie évoquant une expertise médicale : "aucune anomalie mentale révélée – simplement con".

Un ami à l'ambassade de l'Equateur

Le véritable antihéros dans toute cette histoire n'est évidemment pas Manning. C'est Julian Assange, qui n'a jamais fait la guerre. Il se trouve actuellement à l'ambassade de l'Equateur à Londres et y restera pendant encore longtemps.

D'ailleurs, les premiers commentaires américains à ce sujet après l'annonce du verdict à Manning disaient que cette sentence était une base pour les futures accusations contre Assange, chose à laquelle s'opposent activement tous les combattants supranationaux pour les libertés diverses et variées.

Selon les témoignages de Manning, ce geek fait indirectement connaissance avec les adeptes d'Assange qui lui ont montré la sortie de l'impasse morale. Tout a commencé par les documents révélant comment les hélicoptères américains avaient tué des innocents. Puis, 700 000 documents confidentiels (évidemment, Manning n'aurait jamais réussi à tous les lire). En majeure partie des documents diplomatiques, du département d'Etat.

Et qui serait Assange sans Manning? Un simple anarchiste informatique connu pour avoir une langue trop longue.

On connaît la suite. Cette fuite immense n'a provoqué aucun bouleversement des fondements. Quelques commentaires sur les documents et basta. Le monde n'a aucunement changé. Heureusement, peut-être.

Et ce monde est resté complexe, de sorte que chaque individu doit à nouveau redéfinir lui-même ce qui est bien et ce qui est mal. Par exemple, se rappeler que le métier des armes implique une certaine discipline et discrétion, car une armée qui passe son temps à débattre serait physiquement anéantie. C'est la raison, d'ailleurs, pour laquelle Manning a été reconnu, entre autres, coupable d'espionnage.

D'Artagnan et WikiLeaks

Toutefois, le monde n'a jamais été simple. Aujourd'hui, on relit comme pour la première fois Les Trois Mousquetaires et on comprend avec étonnement que ces gars là étaient dans une situation horrible que Manning ne pourrait jamais imaginer.

Qui ont-ils servi – un enfant-roi, un mélancolique valétudinaire qui n'a aucunement marqué l'histoire? Contre qui travaillaient-ils – contre un cardinal, un homme qu'ils ont ensuite admiré pendant toute leur vie d'adulte?

Mais ces jeunes militaires français avaient certainement quelque chose d'autre en tête hormis la peur devant les lois très floues de l'époque et devant les dirigeants qui se querellaient?

Difficile de s'imaginer d'Artagnan – qui a d'ailleurs pratiquement le même âge que Manning – transmettre 700 000 documents du roi Louis, disons, à la presse britannique, qui venait d'apparaître au XVIIème siècle.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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