Les Grecs dans la liste Lagarde : sauve qui peut

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La publication de la "liste Lagarde" dans le journal Hot Doc – contenant environ 2 000 noms de riches Grecs détenant des comptes bancaires en Suisse – a fait l'effet d'une bombe en Grèce.

Beaucoup d'hommes politiques grecs ressemblent au personnage d'Anton Tchekhov dans ses Extraits du journal d'un aide-comptable – passant d'un tribunal à l'autre, gageant un piano de location, échangeant des bottes avec un conseiller secret… Une simple énumération des scandales grecs des dernières années pourrait donner matière à  un grand livre. Et le dernier en date est tout aussi complexe que les autres.

La publication de la "liste Lagarde" dans le journal Hot Doc – contenant environ 2 000 noms de riches Grecs détenant des comptes bancaires en Suisse – a fait l'effet d'une bombe en Grèce. Quelques heures après sa publication, il était impossible de trouver Hot Doc en kiosques.

Les autorités ont immédiatement réagi en appréhendant dès le lendemain le journaliste Kostas Vaxevanis, accusé de divulgation illégale d'informations personnelles.

Pour les hommes politiques grecs, ce scandale tombe très mal : dans les jours à venir, le parlement devra examiner une nouvelle réduction budgétaire de presque 14 milliards d'euros, en échange de 31,5 milliards de crédits de la part de l'Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI). Et les comptes de l'élite dans les banques étrangères ne seront pas touchés. Les salaires et les retraites des fonctionnaires, par contre, subiront cette nouvelle vague d’austérité.

La colère générale contre les hommes politiques empêchera-t-elle la prise de décisions difficiles ? La question préoccupe actuellement aussi bien les Grecs que les hommes politiques du monde entier. L'économie grecque, en grave difficulté, est solidement intégrée à la zone euro et par conséquent, le défaut de paiement potentiel puis la sortie du pays de l'union monétaire entraînerait beaucoup de problèmes pour l'économie mondiale.

Cependant de nos jours, alors que l’on sort tout le linge sale de la maison grecque en provoquant une vague d’inquiétude dans le monde entier, on oublie facilement que le scandale est un état naturel de la politique grecque. Ils sont depuis longtemps devenus une routine dans le pays, quels qu’en soient les détails.

Beaucoup d'hommes politiques grecs ressemblent au personnage d'Anton Tchekhov dans ses Extraits du journal d'un aide-comptable – passant d'un tribunal à l'autre, gageant un piano de location, échangeant des bottes avec un conseiller secret… Une simple énumération des scandales grecs des dernières années pourrait donner matière à  un grand livre. Et le dernier en date est tout aussi complexe que les autres.

En 2010, la ministre de l’Economie française, Christine Lagarde, a transmis aux autorités grecques une liste d'environ 2 000 noms de Grecs disposant de placements chez HSBC, en Suisse. Il est légal d'avoir des comptes bancaires à l'étranger mais certaines personnes figurant sur la liste sont soupçonnées de ne pas avoir payé d'impôts sur leurs revenus avant d'avoir transféré cet argent en Suisse. Par ailleurs, ce document peut être considéré comme un annuaire des familles grecques les plus influentes.

Presque deux ans après la réception de la liste, aucune enquête n'a été menée à ce sujet. Elle a été "perdue" et on ignore comment cela a pu se produire- les deux anciens ministres des Finances n’en ont pas la moindre idée non plus.

Celle qui circule actuellement est une copie venant d'une source anonyme. On ignore si elle correspond à l'original ou si elle a été "épurée". Les Grecs s'interrogent également sur le fait que le journaliste a été trop vite rendu coupable, alors que deux années ont été insuffisantes pour déterminer la nature criminelle de ces placements à l'étranger - évidemment, aucun travail n'a jamais été fait dans ce sens.

L'élite grecque survivra-t-elle à ce scandale ? D'une part, sans l'ombre d'un doute, cette nouvelle affaire sera un choc. La faillite du pays a déjà provoqué des tremblements de terre dans la politique grecque : il suffirait pour s’en convaincre de rappeler que les familles Papandreou et Karamanlis ont quitté la scène politique alors que leurs représentants ont été premiers ministres du pays pendant plus de la moitié de l'après-guerre.

L'affaire de corruption entre l'Etat et le monastère de Vatopedi a profité au centre-droit pendant les élections de 2009. La culpabilité de qui que ce soit, dans le scandale de Vatopedi, n'a pas été définitivement établie - mais cela n'a pas beaucoup d'importance dans le discours grec, où les ministres jouissent de l'immunité et les procès peuvent durer des décennies.

Le scandale des statistiques faussées du déficit budgétaire a contribué au nouveau changement de gouvernement en 2011. En janvier 2012 était publiée la liste des fraudeurs fiscaux pour un montant de 15 milliards d'euros, ce qui a affecté les deux principaux partis du pays.

Les manifestations de masse et les émeutes ont bouleversé le pays, quatre gouvernements se sont succédés et deux élections anticipées ont été organisées. Désormais, les successeurs des Papandreou et des Karamanlis devront s'allier au parlement. Ensemble, ils représentent toujours une force prête à se battre pour le maintien du statu quo dans la vie politique.

Par ailleurs, la vague de protestation diminue. Les députés prendront certainement de nouvelles mesures économiques dans l’atmosphère étouffante des gaz lacrymogènes ayant servi à disperser la foule. Mais les Grecs n'ont aucune alternative.

Le parti d'extrême-droite Aube dorée - dont le logo est une copie de l'étendard de l'Allemagne nazie, dont les militants attaquent ouvertement les membres d'autres ethnies dans les rues, et dont les députés recueillent du sang de donneurs "seulement pour les Grecs" et distribuent des produits alimentaires "seulement aux Grecs" – n'est pas un choix auquel les électeurs sont prêts.

Il est également plus facile pour les créanciers de l'UE et du FMI de discuter avec l'élite actuelle, qui a fait ses études en Occident et parle anglais sans accent. Or cela implique qu'aucun scandale ni aucun bruit dans la presse ne fasse dérailler la longue opération de "sauvetage" de la Grèce avec l'argent international. Les enjeux sont trop importants.

Quant aux Grecs ordinaires, beaucoup d'entre eux sont déçus par les mouvements de protestation, qui n'empêchent pas les créanciers et le gouvernement de serrer la corde des réductions budgétaires sur le cou de l'économie du pays. La population jeune et active quitte la Grèce par dizaines de milliers à destination des Etats-Unis, de l'Europe, de l'Australie - n'importe où mais pas ici.

La majorité préfère attendre le passage de cette crise en Grèce, renonçant à toute ambition et se concentrant sur la survie quotidienne. Beaucoup tombent dans l'apathie et la dépression, deux phénomènes qui se ressentent physiquement dans les rues appauvries d'Athènes.

Le problème des Grecs, ce n'est pas la liste Lagarde qui inclut de riches investisseurs – ils ne paieront pas pour la crise. L'ex-ministre des Finances Christine Lagarde occupe désormais le poste de directeur du FMI, principal créancier international de la Grèce.

Cette fois, sa nouvelle liste comprend tous les Grecs, jusqu'au dernier.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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