Les droits inexistants des enfants en Russie

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Le Congrès des ombudsmans pour les droits des enfants ouvre ses portes mercredi à Saint-Pétersbourg.

Le Congrès des ombudsmans pour les droits des enfants ouvre ses portes mercredi à Saint-Pétersbourg. A ce congrès participeront les représentants des organisations publiques d'aide aux enfants, et les hauts fonctionnaires des 83 régions de la Fédération de Russie compétents en la matière. Une semaine auparavant, Pavel Astakhov, délégué auprès du président russe pour les droits de l'enfant, a déclaré que la recherche des enfants disparus serait l'un des principaux thèmes du Congrès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En effet, ces derniers temps les enfants disparaissent très souvent, et il serait préférable de confier la recherche des enfants disparus à la police, alors que les ombudsmans s'occuperaient de la défense des droits de l'enfant. Mais le fait est qu'en Russie les enfants n'ont pas de droits en tant que tels, et il ne reste plus à leurs défenseurs que de mener de longues discussions et de faire état de succès très modestes.

La défense des droits de l'enfant dans le monde dépend aujourd'hui fortement de la géographie: chaque région a des spécificités. Par exemple, en Asie, les militants luttent contre l'exploitation de la main d'œuvre infantile, et contre la malnutrition et les maladies en Afrique.

En Europe et aux Etats-Unis, le fléau est l'orphelinat social latent dont la description est la suivante: officiellement l'enfant a des parents et vit au sein de sa famille, mais personne ne le contrôle, ne l'éduque et, parfois, personne ne le nourrit. On dit que ces enfants sont issus de familles défavorisées. Dans le monde occidental contemporain, il faut donc protéger les enfants avant tout contre leurs propres parents.

En Russie, cette question est bien plus grave que dans la majorité des pays d'Europe ou aux Etats-Unis: ne fût-ce que parce que dans ces pays le système de contrôle et d'aide existe et fonctionne, mais en Russie il n'est qu'au stade de l'élaboration laborieuse et n'a aucune efficacité.

Des centaines de milliers d'enfants en difficulté

Les enfants russes ont tellement de problèmes, que même théoriquement les 83 ombudsmans sont incapables de les régler, et il serait temps de faire appel à toute une armée de militants. Il n'existe aucune statistique sur l'orphelinat social latent et il est impossible de calculer le nombre d'enfants dont les parents ne prennent pas soin.

Mais dans l'ensemble, la situation est la suivante. Selon Alexeï Golovan, ombudsman de la ville de Moscou chargé des droits de l'enfant, près de 800.000 orphelins sont recensés en Russie, c'est-à-dire des enfants qui vivent dans un orphelinat ou sont au moins recensés auprès des organismes de tutelle en tant qu'enfants dénués de tuteurs. Ces informations datent d'il y a trois ans, ce sont les plus récentes.

En 2009 l'Unicef a publié une étude de plusieurs années sur la qualité de la vie des enfants en Russie. Selon ses calculs, reconnus par l'agence russe des statistiques Rosstat, chaque année les organismes de tutelle découvrent près de 120.000 enfants sans aucune tutelle. Encore près de 60.000 enfants sans-abri ou abandonnés souffrant de maladies dues au manque de nourriture correcte ou à l'absence de soins s'adressent chaque année aux établissements de santé. On arrive à un peu moins de 200.000, mais ce n'est que le sommet de l'iceberg.

On ne peut qu'essayer de deviner combien d'enfants sont victimes du laxisme de leurs parents à un âge où ils sont trop jeunes pour prendre conscience de leur situation. Mais en principe, il suffit de regarder la télévision ou de lire les actualités. Des parents partis en boîte de nuit en laissant à la maison des enfants en bas âge, la maison brûle avec les enfants qui dormaient à l'intérieur. La mère a laissé son enfant sans surveillance en allant chez les voisins, le gamin a réussi à prendre dans son lit le radiateur électrique, les draps ont pris feu et on a dû amputer l'enfant des deux jambes. A Iakoutsk, un enfant a été jeté du cinquième étage. Dans la même ville un garçon de huit ans est mort de froid dans la rue, parce que les parents ne le laissaient pas rentrer à la maison où ils avaient organisé une fête "alcoolisée."

L'alcoolisme (l'un des principaux problèmes de la société contemporaine russe) prive à travers le pays les enfants du droit d'avoir des conditions de vie correctes, d'être défendus par les adultes, de recevoir une éducation et des soins médicaux. Parfois, il les prive même du droit à la vie.

Les premiers pas sont les plus difficiles

L'URSS a ratifié la Convention des droits de l'enfant en 1990, et presque immédiatement des organismes de soutien ont commencé à être mis en place. Les ombudsmans, qui se réunissent cette semaine à Saint-Pétersbourg, ont été nommés sur recommandations de l'ONU: ils sont appelés à veiller au respect des droits de l'enfant dans leurs régions et à répondre de leur travail. Il serait faux de dire que l'on n'enregistre aucun succès dans la lutte pour les droits de l'enfant. La Russie assimile progressivement l'expérience internationale, et parfois avec bonheur.

Ainsi, dans beaucoup de villes ont été installés des baby-box, des endroits spéciaux où les femmes peuvent venir abandonner leur enfant: on estime que l'existence de tels dispositifs réduit considérément le nombre de meurtres de nouveau-nés.

De plus, au cours des dernières années dans toutes les régions russes ont été mis en place des téléphones verts pour les enfants – une autre possibilité pour l'enfant de demander de l'aide. Ce n'est qu'une goutte d'eau dans la mer: par exemple, selon l'ancienne adjointe du maire de Moscou pour la politique sociale, Ludmila Chvetsova, le numéro vert de la capitale reçoit seulement 20-40 appels par jour. Mais en réalité ce n'est que le début. Un travail laborieux et long sera nécessaire sur tous les fronts pour aboutir.

"Il faut changer les gens, déclare la sociologue Irina Kovaleva qui travaille avec plusieurs fondations d'aide aux enfants. Les Russes doivent porter un autre regard sur les enfants pour que les choses changent."

Selon elle, dans les campagnes et les petites villes les Russes ont généralement une attitude digne du Moyen-âge envers leurs enfants qui sont considérés comme des "sous-hommes", comme la propriété des parents.

En 2010, l'Institut de sociologie de l'Académie des sciences de Russie' a réalisé à la demande de la Fondation d'aide aux enfants un sondage sur le thème des méthodes d'éducation. Un parent sur deux a déclaré qu'il frappait son enfant à des fins éducatives. Et il s'agit 'une punition régulière avec usage de la force physique, et non pas une gifle ponctuelle et spontanée.

Autrement dit, 50% des Russes frappent sciemment leurs propres enfants. "Et cela est considéré comme normal, déclare Irina Kovaleva. Il faut simplement comprendre que lorsqu'un adulte se permet de frapper un enfant, il franchit une certaine limite. Il laisse libre court à ses émotions et exprime par la force l'irritation, la fatigue ou une insatisfaction souvent justifiée. L'expérience internationale montre que par la suite la situation ne fera qu'empirer."

Selon elle, la psychologie sociale a déjà prouvé que si un homme utilisant la force ne rencontre aucun obstacle (ce qui est forcément le cas d'un parent), il deviendra à chaque fois plus violent. C'est ce qui se passe dans les familles où les maris battent leurs femmes: plus la femme pardonne, et plus son mari se laisse aller. "La permissivité est une chose terrible", conclut Irina Kovaleva.

Les débats sur la justice juvénile

Hormis toute sorte de publicités et d'actions sociales, la violation des droits de l'enfant doit être passible d'une lourde responsabilité, déclare Angela Rogova, avocate spécialisée dans les affaires juvéniles. Selon elle, la sanction juridique inévitable est susceptible d'empêcher les parents enclins à la violence de franchir la ligne rouge, tout comme elle peut stopper la main d'un criminel potentiel.

"Si la moitié des femmes alcooliques avaient conscience qu'elles peuvent non pas être déchues de leur autorité parentale mais également d'être condamnées à une peine de prison pour violation des droits de l'enfant, cela ferait réfléchir", déclare Angela Rogova. Elle est convaincue qu'il faut avant tout mettre en place en Russie un système efficace de sanctions.

Il est question de la fameuse justice juvénile, qu'on tente d'élaborer depuis plusieurs années en Russie, mais qu'on reporte à chaque fois sous la pression sociale. En fait, c'est simplement un système "bien huilé" d'organisations qui prend en charge les affaires des mineurs, y compris les organismes de supervision, des instances judiciaires spéciales et les services sociaux.

Les adversaires de la justice juvénile se réfèrent à l'expérience des pays occidentaux, où les voisins appellent la police si l'enfant pleure pendant trop longtemps, et les parents peuvent perdre la garde de leur enfant pour la moindre infraction, comme par exemple fumer en sa présence. En réalité, ce n'est pas le cas. A l'étranger la procédure de déchéance de l'autorité parentale est très longue et complexe: la décision favorable peut n'être prononcée qu'après des mois de procès impliquant des proches, des connaissances, des collègues, des psychologues et des psychiatres. En fait, les organismes de tutelle russes travaillent depuis longtemps selon un tel schéma: ils identifient des familles défavorisées et les surveillent, et en cas de danger les enfants sont enlevés à leur famille et une plainte est déposée.

Mais la question de la mise en place de la justice juvénile est en effet très compliquée. Parce que cela signifierait que l'Etat demande à ses citoyens d'ouvrir les portes de leurs maisons, d'exposer leur situation familiale à des étrangers et d'autoriser la réglementation par autrui des relations entre le parent et son enfant.

En principe, ce n'est pas très agréable. Et peu apprécieraient que la police s'introduise dans leur maison parce que les voisins se plaignent des cris d'un enfant qui souffre de coliques. Mais d'autre part, la police aurait probablement été appelée dans le cas de l'enfant qui hurlait parce qu'il brûlait dans son lit avec le radiateur électrique.

Ainsi, la principale tâche des ombudsmans russe en charge des droits de l'enfant pour les prochaines années consiste à élaborer et à promouvoir la justice juvénile: dès la société russe aura reconnu les droits de l'enfant, les congrès des ombudsmans auront alors un sens.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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