La guerre de Bosnie-Herzégovine: un conflit mal connu

© RIA Novosti . Sergei Gryzunov / Accéder à la base multimédiaLa guerre de Bosnie-Herzégovine: un conflit mal connu
La guerre de Bosnie-Herzégovine: un conflit mal connu - Sputnik Afrique
S'abonner
Ces jours-ci ont été marqués par un anniversaire funèbre: la guerre insensée et absurde, qui a coûté la vie à plus de cent mille personnes et a forcé des centaines de milliers de gens à quitter leurs maisons, a commencé à Sarajevo 20 ans auparavant.

Ces jours-ci ont été marqués par un anniversaire funèbre: la guerre insensée et absurde, qui a coûté la vie à plus de cent mille personnes et a forcé des centaines de milliers de gens à quitter leurs maisons, a commencé à Sarajevo 20 ans auparavant. Seulement un demi-siècle après la Seconde guerre mondiale, en plein cœur de l'Europe, on tuait à nouveau des gens par milliers pour leur appartenance ethnique. On les séparait par groupes d'hommes et de femmes pour les jeter dans des camps de concentration, pour les brûler vifs ou les fusiller dans les champs.
C'est une tragédie dont l'humanité doit impérativement tirer une conclusion simple et désagréable: tout pourrait se répéter à nouveau.

Les problèmes ont commencé en Bosnie bien avant 1992. Après la mort de Josip Broz Tito en 1980 et l'effondrement du camp socialiste, la Yougoslavie n'avait plus aucune chance de survivre. Il était clair qu'elle allait se diviser. On pouvait supposer que le sang coulerait, car il y a toujours des victimes lorsque des empires s'effondrent. Mais personne n'aurait pu imaginer qu'à la fin du XXe siècle, au cœur de l'Europe, on puisse assister à un massacre monstrueux pendant plusieurs années.

Voici ce qui s'est passé: la parade des souverainetés typique pour la période de
semi-désintégration d'un pays a provoqué un grave conflit entre les républiques et le centre serbe. La Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine ont tenté de faire sécession, la Serbie s'y est opposée et a utilisé son principal atout – un nombre important de Serbes vivant dans ces républiques nationales. Ils étaient les moins nombreux en Macédoine, ce qui a permis à ce pays de devenir indépendant relativement vite et facilement. Mais ils étaient les plus nombreux en Bosnie-Herzégovine, qui a eu moins de chance que les autres.

La situation de la Bosnie était d'autant plus difficile étant donné ses particularités géographiques: sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine les communes serbes et bosniaques étaient mélangées, et même avec la meilleure volonté du monde il aurait été impossible de diviser ce pays en deux parties. C'était une situation de pat: la majorité veut se séparer de la métropole, et en principe c'est possible. Par ailleurs, la minorité veut se séparer de la majorité, mais ne parvient pas à le faire. Tout le monde se souvient de l'expérience croate, où un an avant la guerre de Bosnie, on assistait à des événements similaires qui ont dégénéré en véritable guerre.

Une ville ordinaire

La ville de Sarajevo du début des années 90 est une ville moderne avec une infrastructure développée, de grands magasins, des banques, des boîtes de nuit, des universités, des bibliothèques et des stations service. A partir du milieu des années 80 des entreprises internationales commencent à y ouvrir leurs bureaux, et en 1984 l'Olympiade se déroule à Sarajevo.

Ses habitants étaient des gens ordinaires, qui n'étaient pas différents des Russes. Au début des années 90 les habitants de Bosnie étaient les mêmes – ils portaient des jeans et des pulls, roulaient en Lada, buvaient de la bière et fumaient des cigarettes américaines.

Sarajevo était qualifiée de Jérusalem des Balkans en raison de sa population multiethnique et du mélange des cultures chrétienne et musulmane. A cette époque, il y a vingt ans, nulle part en Europe les représentants de ces deux confessions n'ont vécu aussi longtemps dans une telle proximité, n'ont fréquenté les mêmes écoles et n'ont célébré ensemble les anniversaires dans les mêmes restaurants.

Selon le recensement de 1991, Sarajevo comptait près de 500.000 habitants. Une personne sur trois était Serbe, une sur dix était Croate, et les autres étaient Bosniaques. Après la guerre il ne restait que 300.000 habitants: certains ont été tuées, d'autres ont réussi à fuir et ne sont plus revenus.

Le début de la guerre

Quoi qu'il en soit, les négociations entre les politiciens serbes et bosniaques en 1991 ont abouti à une impasse. Le 29 février 1992, les autorités bosniaques ont organisé un référendum sur l'indépendance de la république. La majorité des habitants a participé à la consultation, mais les Serbes locaux l'ont boycottée.

Au final, les derniers ont refusé de reconnaître les résultats du référendum et ont annoncé la création de leur propre Etat, la République serbe de Bosnie ou Republika Srpska.
En mars, des affrontements ont éclaté entre les Serbes et les Bosniaques dans les régions périphériques. Des nettoyages ethniques ont commencé dans les villages. Le 5 avril, une manifestation pour la paix a été organisée à Sarajevo. Ce jour-là, les Serbes et les Bosniaques se sont réunis pour la dernière fois ensemble, ils se sont rassemblés sur la place pour tenter de s'opposer à la catastrophe imminente, mais la foule a été la cible de coups de feux. Plusieurs personnes ont été tuées. On ignore jusqu'à présent qui a tiré.

Le 6 avril, la Cour européenne a reconnu l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, les représentants de l'administration serbe ont quitté Sarajevo et le siège de la ville par les troupes serbes a commencé.

Il a duré pratiquement quatre ans. Sarajevo a été bloqué au sol et dans les airs, la ville était privée d'électricité et d'eau et manquait de nourriture.

L'armée serbe a occupé toutes les collines dominant la ville, ainsi que les hauteurs dans certains quartiers. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait, y compris les femmes, les vieillards et les enfants. Tous les habitants de la ville, indépendamment de leur nationalité, étaient visés, y compris les Serbes restés dans la ville, dont beaucoup défendaient Sarajevo avec les Bosniaques.

Même pendant le blocus de Leningrad on n'avait pas vu cela: à Sarajevo plusieurs zones étaient contrôlées par les forces de la Republika Srpska.

Les soldats pouvaient entrer dans la ville à tout moment, ils faisaient irruption dans les maisons, les gens étaient fusillés, des femmes violées et les hommes étaient jetés dans des camps de concentration.

La ville sous le feu de l'agresseur

Pendant ce temps, la ville tentait de vivre sa vie. Les Serbes ont autorisé l'acheminement à Sarajevo de l'aide humanitaire et la nourriture a fait son apparition. Les gens allaient à leur travail et faisaient leurs courses dans les magasins, organisaient des fêtes et envoyaient leurs enfants à l'école. Ils vivaient sous le pilonnage incessant de l'artillerie et avançaient suivis par les lunettes de visée des snipers.

Il ne fallait en aucun cas se rendre dans certains endroits de la ville trop à découvert. Dans beaucoup de rues on pouvait se déplacer seulement en courant, en calculant le temps nécessaire à un tireur d'élite pour recharger son fusil.

Le journaliste photo Richard Rogers a fait une série de photos remarquables, dont chacune était accompagnée d'une courte histoire. Il a réalisé un cliché d'une jeune femme qui court aussi vite que possible en jupe de bureau et un sac sous la main. C'est ainsi qu'elle se rendait chaque jour au travail: en faisant l'aller-retour en courant.

Pendant les années de siège, il ne restait plus aucun arbre dans Sarajevo rempli de parcs – ils ont été abattus pour servir de bois de chauffage et cuisiner. On y a même organisé un jour un concours de beauté auquel  par hasard assisté un journaliste occidental. Les photos du concours ont été par la suite publiées dans toute la presse mondiale, et le chanteur Bono (U2) a écrit la célèbre chanson Miss Sarajevo.

Certains tireurs qui tuaient les habitants de Sarajevo depuis les hauteurs comme dans un jeu de tir y étaient nés. Ils connaissaient la ville comme leur poche. Beaucoup de ceux sur qui ils tiraient étaient peu de temps auparavant leurs voisins ou leurs amis.

Sur une autre photo de Rogers, un jeune homme tenant un fusil dans ses mains a ensuite demandé au photographe d'apporter un paquet de cigarettes à son ami bosniaque qui vivait quelque part dans la ville assiégée: en disant que "c'était un bon gars, mais qu'il fallait répondre pour son peuple".

Il faut se rappeler

Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui traite depuis plusieurs années les affaires des crimes de guerre en Bosnie, interroge souvent les victimes bosniaques, serbes et croates. Le proche d'un Serbe a été tué pour avoir tenté de faire sortir une famille bosniaque de Sarajevo.

On connaît bien l'histoire des "Roméo et Juliette de Sarajevo", un Serbe et une Bosniaque amoureux l'un de l'autre tués sur un pont par un sniper lorsqu'ils tentaient de fuir la ville.
Leurs corps sont restés sur le pont pendant plusieurs jours: il était impossible de les récupérer car le pont était balayé en permanence par les tireurs d'élite.

Les témoignages ne viennent pas seulement de Sarajevo. Par exemple, on a demandé à un homme s'il connaissait la personne qui lui avait tiré dessus (il a eu la chance de survivre). Il a répondu qu'au travail il était le supérieur hiérarchique du tireur. Une autre jeune femme a raconté qu'un ancien camarade de classe l'avait torturée: il l'a fait entrer avec une cinquantaine d'autres personnes dans une maison, y a mis le feu et abattu ceux qui sortaient par la fenêtre.

Il y a quelques mois est sorti le film Au pays du sang et du miel réalisé par Angelina Jolie sur les événements de Sarajevo. On y trouve toute l'horreur – les meurtres, les fusillades, les viols, les incendies. Il y a également une scène de l'interrogatoire d'un Bosniaque par les Serbes – sans atrocités ou torture, simplement une discussion tendue. On lui demande qui il était avant la guerre, et il répond qu'il travaillait dans une banque.

Et c'est la plus terrible vérité de tout le film. Et sa plus grande découverte. On n'arrive pas à croire que tout cela ait pu arriver à un employé de banque dans une ville contemporaine.

Il nous semble que la guerre civile concerne les rouges et les blancs, et les nettoyages ethniques sont restés dans le passé, au milieu du siècle dernier. Et aujourd'hui, ce genre de choses ne se produit que quelque part en Afrique, où on vit toujours dans des cabanes sans télévision.

Il nous semble que la civilisation contemporaine avec ses avantages, sa transparence et son intelligence nous garantit une protection contre la répétition d'erreurs monstrueuses.
Mais ce n'est pas le cas, et la récente guerre de Bosnie-Herzégovine en est un parfait exemple. Ainsi qu'un avertissement au monde entier, à nous tous. Il serait préférable qu'on l'entende.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала