L’ABM européen et le dernier avertissement de Moscou

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Moscou menace l’OTAN de stopper la coopération sur le problème de la défense antimissile (ABM) en Europe. Selon les experts la déclaration d'aujourd’hui du ministère russe des Affaires étrangères est une sorte de dernier avertissement pour Washington qui continue à ignorer l’avis de la Russie.

Moscou menace l’OTAN de stopper la coopération sur le problème de la défense antimissile (ABM) en Europe. Selon les experts la déclaration d'aujourd’hui du ministère russe des Affaires étrangères est une sorte de dernier avertissement pour Washington qui continue à ignorer l’avis de la Russie.

L’ouverture Espagnole

Jeudi le 6 octobre, le ministère russe des Affaires étrangères a publié un communiqué très critique envers les dirigeants de l’OTAN.

" …en l’absence de discussion collective, sans tenir compte de l’avis des tous les pays intéressés, on prend des décisions capables d’affecter la sécurité et la stabilité dans la région euro-atlantique. Si la situation continue d'évoluer de cette manière… l’opportunité de transformer la défense antimissile de sujet de confrontation en objet de coopération sera perdue", stipule le communiqué du ministère.

Selon l’explication officielle du ministère des Affaires étrangères, cette déclaration est une riposte à la décision de l’Espagne d’adhérer au système américain ABM mis en place en Europe. Quatre navires américains dotés du système Aegis comprenant des missiles Standard SM-3 seront déployés sur la base navale espagnole de Rota.

Cela a été annoncé mercredi par le secrétaire général de l’OTAN Andres Fogh Rasmussen, le premier ministre espagnol José Luis Zapatero et le chef du Pentagone Leon Panetta.
Rasmussen a également ajouté que pour 2018 l’ABM serait pleinement opérationnel en Europe. Une fois de plus, la position de la Russie, qui interprète négativement toute mesure unilatérale de l’OTAN concernant l’ABM européen, n’a pas été prise en considération.

La pression constante des Américains relative à l’ABM européen, qui continuent à ignorer l’avis de Moscou, s'explique politiquement. "Pour les Etats-Unis, il est inadmissible que quelqu’un (qui plus est la Russie, dont la méfiance en tant qu’ancien et éventuellement futur rival demeure) dicte aux Américains les critères de déploiement des futurs systèmes ABM", a fait remarquer Viktor Mizine, directeur adjoint de l’Institut des études internationales de l’Université d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO), dans un entretien accordé à RIA Novosti.

Selon l’expert, personne ne fournit aucune garantie que les composantes de l’ABM américain ne seront pas déployées à proximité immédiate des frontières russes. "Il faut des critères tangibles qui rassureront la Russie", déclare Viktor Mizine en commentant les exigences de Moscou, et ajoute : "C’est la raison du ton aussi sévère de la déclaration du ministère des Affaires étrangères, qui est une sorte de dernière tentative pour raisonner les Américains".

La méthode de la menace globale

Les Etats-Unis déploient lentement la composante européenne de l’ABM, en créant en fait un système global de défense antimissile où les armes mobiles (les missiles d’interception) peuvent être utilisées dans un espace commun de désignation de cible (grâce à l’ensemble des radars et des moyens de détection optique et électronique).

La création lente mais constante d’un système ABM mondial, appelée "approche souple progressive", irrite particulièrement Moscou. Non sans raison.

"Actuellement, ces systèmes ne nous préoccupent pas, ce sont des systèmes de défense antiaérienne. Mais à terme ils pourraient être capables de lutter contre les ogives des missiles russes. Notamment, s’il sera question du déploiement des navires-vecteurs dans l’océan Arctique", avertit Viktor Mizine.

Ce fait inquiète particulièrement la Russie, c'est la mobilité des principales composantes offensives du futur ABM et l’accroissement progressif des capacités offensives, à première vue imperceptible.

"Selon l’état-major russe, en 2015 l’ABM européen sera en mesure d’affecter négativement les capacités de dissuasion nucléaire de la Russie. Autrement dit, à partir de 2015 ils seront capables d’intercepter une partie des missiles balistiques russes", a expliqué à RIA Novosti Igor Korottchenko, rédacteur en chef du magazine Défense nationale.

En commentant la position de la Russie aux négociations avec l’OTAN, Igor Korottchenko a fait remarquer que selon les exigences de Moscou les dispositifs terrestres de défense antimissile devaient être reculés de la frontière russe à une distance égale à leur portée. Dans ce cas, cette configuration permettrait à l’OTAN d’intercepter les cibles dans l’espace aérien, mais pas sur le territoire russe.

Une impasse sectorielle

A titre de contre-initiative visant à empêcher l’escalade du conflit avec l’OTAN, la Russie soutenait l’idée de l’ABM sectoriel. Elle consistait à partager officiellement la responsabilité de l’ABM en Europe entre les segments russe et otanien, afin que les partenaires abattent les missiles dans leur secteur de responsabilité.

Selon les experts, la proposition politique de l’ABM sectoriel est irréalisable et, comme l’estime Viktor Mizine, "même chez les spécialistes russes elle suscite des doutes". "D’après cette proposition, il s’avère que la Russie s’engage à abattre les missiles au-dessus de son territoire en prenant ainsi la défense des pays d’Europe de l’Est, ce qui est inacceptable pour ces derniers", affirme l’expert.

Les responsables de l’industrie russe de missiles nucléaires critiquent également cette initiative. En début d’année, Iouri Solomonov, de l’Institut des technologies thermiques de Moscou, a violemment critiqué l’idée "absurde et irréalisable de l’ABM sectoriel, qui a priori ne sera pas mis en œuvre ne fût-ce que pour des motifs psychologiques". Selon Iouri Solomonov, le niveau de confiance entre la Russie et l’Occident n’est pas assez élevé pour la réalisation de tels projets.

"L’ABM sectoriel serait réalisé si l’OTAN acceptait de le discuter", déclare à son tour
Igor Korottchenko. "Mais l’idée de sécurité égale est inconcevable  pour l’Occident".

Un centre d’échange : une issue ou une ruse?

En poursuivant le thème de l’ABM sectoriel, il convient de noter que le problème
russo-américain dans ce domaine se réduit avant tout au manque total de sites communs pour une action bilatérale.

L’administration américaine a récemment relancé l’idée d’une centre commun d’échange de données sur les lancements de missiles où les officiers spécialistes russes et américains
(et probablement européens) pourraient travailler ensemble. Cependant, pour l’instant les perspectives sont floues.

"On ignore pourquoi la Russie n’impose pas cette idée, s’étonne Viktor Mizine. A une époque, elle était étudiée, mais on l’a laissée tomber sous des prétextes fallacieux concernant la juridiction indéterminée des militaires américains sur le territoire russe et en raison des problèmes fiscaux".

Toutefois, les experts ne sont pas unanimes quant à l’initiative américaine concernant le centre d’échange de données. "C’est la même chose que le Conseil OTAN-Russie qui n’engage personne à rien", estime Igor Korottchenko. "On le fait pour ne pas provoquer la Russie, lui présenter un compromis pour l’empêcher de réaliser ses plans militaro-techniques pour parer la menace".

Aucun progrès à l’horizon

Le gouvernement russe est nerveux, ce qui est légitime, selon Viktor Mizine : la Russie n’a rien à proposer aux Américains pour créer un ABM commun. "Les Américains croient sincèrement qu’ils n’ont pas besoin de technologies russes et qu’ils sont suffisamment avancés dans la défense antimissile", fait remarquer Viktor Mizine.

Selon l’expert, l’algorithme de la coopération est clair : "Il faut deux systèmes parallèles associés, et non pas un système commun". Selon lui, les Etats-Unis pourraient mettre en place l’ABM pour l’Europe, et la Russie pourrait faire de même pour ses alliés de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) ou de l’hypothétique Union eurasienne, récemment proposée par le premier ministre Vladimir Poutine.

"Dans ces conditions, il faut quoi qu’il en soit poursuivre les négociations et ne pas claquer la porte", estime Igor Korottchenko. "Cependant, si cela ne menait à rien, la Russie devrait prendre des mesures militaro-techniques. Il faut oser dire qu’à partir de 2015 tous les éléments de l’ABM en Europe seront les cibles prioritaires des frappes russes (y compris en utilisant des armes nucléaires) en cas de conflit militaire".

"Dommage qu’au lieu du dialogue qui aurait pu être lancé après le progrès obtenu lors du sommet de l’OTAN de Lisbonne en 2010, la Russie et les Etats-Unis font du surplace et même régressent. Et la désillusion croît dans le milieu militaro-politique", ajoute Viktor Mizine.

La situation est également exacerbée par les marathons préélectoraux en Russie et aux
Etats-Unis. "Obama a les mains liées sur toutes les questions de politique étrangère et nationale, et l’ABM est la vache sacrée des républicains", déclare Viktor Mizine avant de conclure : "Il ne faut s’attendre à aucun progrès dans les 6-12 prochains mois".

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction


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