L’ambiguïté du conflit syrien

S'abonner
Les manifestations antigouvernementales qui se poursuivent en Syrie et sont réprimées dans le sang au prix de nombreuses victimes civiles, ont provoqué l'exaspération de la "communauté internationale".

Les manifestations antigouvernementales qui se poursuivent en Syrie et sont réprimées dans le sang au prix de nombreuses victimes civiles, ont provoqué l'exaspération de la "communauté internationale". Des milliers de personnes ont été tuées, c’est un fait. D’autre part, les "civils pacifiques" ont de leur côté abattu et blessé des centaines de militaires et de policiers – c’est également une réalité.

Les médias du monde entier décrivent les événements en Syrie comme la répression perpétrée par le gouvernement du pays contre son propre peuple, et ils ont raison. Le régime qui perd la guerre informationnelle parle de soutien extérieur des manifestations, ce qui est également vrai. Le fait est que toutes les tentatives de décrire ces événements comme un soulèvement de "braves gars" contre la tyrannie n’ont rien à voir avec la réalité moyen-orientale en général et avec le cas de la Syrie en particulier.

Bachar al-Assad est un dirigeant autoritaire et son régime ne suscite pas la sympathie de ses voisins, de ses subordonnés ou des moralistes politiques européens et américains. Mais dans cette région il n'existe aucune perspective - même à long terme - de changement de régime. La démocratie au Moyen-Orient, dont on parle tant en raison du printemps arabe, ne représente pas les droits de l'individu et des minorités, dans la conception familière du monde occidental contemporain, mais le droit de la majorité de piller ou d’anéantir la minorité. Cette règle ne souffre pas d’exceptions.

La Turquie, pays parmi les premiers à condamner le gouvernement syrien pour les répressions des mouvements de protestation, et même citée en exemple au monde islamique comme modèle de démocratie moyen-orientale par Hillary Clinton au cours de sa récente visite dans ce pays, réprime cruellement les manifestations des intérêts nationaux des Kurdes. L’Algérie fait la même chose avec les Berbères. Les communautés chrétiennes vivent comme sur un volcan dans les pays "démocratiques" tels que l’Irak, le Liban, l’Egypte et l’Autorité palestinienne.

Le problème syrien ne laisse entrevoir aucune issue satisfaisant tout le monde. Le régime est évidemment corrompu, les forces de l’ordre sont allées trop loin et la population est fatiguée d’attendre des changements positifs. L’alternative n’est, cependant, pas la modernisation et la prospérité, mais le chaos.

La situation en Irak et en Afghanistan, en Tunisie et en Egypte montre où conduit le renversement des régimes autoritaires, indépendamment d’une intervention extérieure ou de son absence. Aujourd’hui, on assiste à une effusion de sang en Syrie, mais le renversement du régime au pouvoir de ce pays multiconfessionnel et multinational signifierait son explosion pratiquement inévitable en 5-6 enclaves assortie de fleuves de sang, soit rien de comparables avec la répression et ses victimes actuelles. Et c’est ce dont parle précisément le slogan populaire au sein de l’opposition : "le Liban pour les chrétiens, la tombe pour les alaouites".

Les sunnites, les Druzes, les Kurdes et les shiites modérés, parmi lesquels la communauté alaouite est la plus influente, les chrétiens et le reste des juifs pourraient difficilement vivre en paix sous la houlette des Frères musulmans, dont l’émeute à Hama a dû être réprimée par l’armée, comme celle écrasée par le père du président actuel trente ans auparavant. D’ailleurs, la population en est parfaitement consciente et la majorité ne soutient pas les protestations.

En réalité, actuellement la Syrie est un champ de bataille dans une guerre non déclarée entre, d’une part, l’Iran shiite, dont elle est le seul allié dans le monde arabe, et, d’autre part, l’Arabie saoudite et les monarchies sunnites du Golfe s’opposant à l’expansion iranienne.

Pour cette raison, les finances et les armes de l’opposition syrienne sont fournies via les tribus iraniennes locales de bédouins, avec un rôle plus que transparent dans ces opérations des pays du Golfe, et la TV qatarie Al Jazeera mène la principale offensive informationnelle contre
al-Assad. Le rôle particulier dans ces événements est joué par la Turquie, qui prétend dans le cadre de sa politique orientée sur la formation d’un  "nouvel empire ottoman"  au rôle d'arbitre suprême des événements dans les pays arabes, qui étaient des anciennes provinces turques un siècle auparavant. Ce n’est pas un hasard si sur le territoire turc on assiste à des tentatives de formation d'une "opposition consolidée", qui à terme pourrait être utilisée comme base du futur gouvernement syrien fantoche.

Aujourd’hui, la Syrie se trouve à mi-chemin d’une véritable guerre civile. Les troubles englobent la totalité du territoire du pays. Les groupes armés ont été formés dans les communautés et les tribus ethniques. L’élite intellectuelle est divisée, et les leaders politiques font preuve d’une indécision fatale pour le régime.

Le problème d’al-Assad n’est pas dû au fait qu’il réprime l’opposition, mais qu’il le fait lentement et avec incertitude, en tentant de manœuvrer entre les exigences des forces de sécurité, enclines à employer la force, et les essais de mise en œuvre de réformes destinées à calmer les manifestants, sans rien changer dans le fond. Bref, al-Assad essaye de s’asseoir sur deux chaises à la fois, chose qu’aucun dirigeant de l’histoire n’a encore réussi à faire.

Toutefois, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’adoptera certainement pas contre la Syrie de résolution similaire à la libyenne. La Russie et la Chine ont tiré les leçons de l’ingérence extérieure dans la guerre civile libyenne et ne feront pas la même erreur. D’autant plus que l’ingérence militaire dans les émeutes syriennes est peu probable : il faudrait alors se battre non seulement contre la Syrie, mais également contre l’Iran.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала