Le FMI cherche à remplacer sa tête perdue

S'abonner
N’est-pas une monstruosité: un seul homme, Dominique Strauss-Kahn, croupit dans la cellule de sa prison new-yorkaise de Rikers Island, et de ce fait à la fois les socialistes français (qui n’ont plus de candidat à cent pour cent présidentiable) et le Fonds monétaire international (FMI) sont décapités

N’est-pas une monstruosité: un seul homme, Dominique Strauss-Kahn, croupit dans la cellule de sa prison new-yorkaise de Rikers Island, et de ce fait à la fois les socialistes français (qui n’ont plus de candidat à cent pour cent présidentiable) et le Fonds monétaire international (FMI) sont décapités. DSK, tout comme prévu, vient de donner sa démission du poste du directeur général du FMI. Par une méchante ironie du sort, le FMI a perdu un directeur sous lequel un vaste programme de réforme structurelle de cette institution avait commencé à être mis en œuvre. Et voilà que depuis le 19 mai se déroule le processus douloureux de recherche d’un Dominique II. Or, ces recherches risquent de s’avérer plus compliquées que par le passé.

Il faut préciser d’entrée de jeu que le FMI est sûr de ne pas s’effondrer sans les Français, et qu’aucune catastrophe ne se produira avec personne lors des négociations sur l’octroi de crédits. A l’image de toutes les autres structures bureaucratiques puissantes des Nations Unies, le FMI peut se prévaloir d’une telle vitalité qu’il peut continuer à vivre la tête coupée.

En tout cas, le FMI persistera certainement sans problèmes jusqu’à la nomination d’un nouveau chef. D’autant plus que John Lipsky, directeur général adjoint du FMI, qui assure l'intérim, fait fonctionner l’institution. Il se préparait à quitter son poste en août, mais maintenant il le gardera jusqu’à la passation des dossiers au nouveau directeur.

Les aspects positifs de cette décapitation

Qui plus est, de nombreux experts financiers estiment que la brusque mise hors-jeu du coureur de cotillons en général et de soubrettes en particulier, constitue une occasion pour le FMI de faire avancer les réformes en atteignant des résultats tangibles. Qui ne se limiteraient pas à une simple redistribution des quotes-parts des Etats membres et du droit de vote lors de la prise des décisions les plus importantes déterminant la politique du Fonds. Or, cette politique exerce un effet sur la santé financière du monde entier.

Le FMI est une sorte de perfusion pratiquée pour soulager des "maux financiers" et déboucher des vaisseaux sanguins financiers obstrués des Etats.

Dans la famille des institutions financières des Nations Unies, le FMI joue le rôle de tirelire mondiale et de caisse internationale d’entre-aide au bénéfice des Etats membres (le Fonds compte 185 Etats actionnaires), dont le budget ou la monnaie nationale, voire, le plus souvent, les deux à la fois, battent de l’aile. La "caisse" permet aux Etats membres d’emprunter, sans intérêts, jusqu’à 100% de leur apport dans le capital statutaire du FMI. Le "découvert" est grevé d’un faible taux d’intérêts. Dans les deux cas, les Etats emprunteurs sont tenus de respecter à la lettre les "recommandations" du FMI destinées à réduire le déficit budgétaire. Tel est, d’ailleurs, le principal coût de l’emprunt. Cette pilule est le plus souvent amère. Et elle a fréquemment des effets secondaires sous la forme de troubles sociaux. Ce qui vaut au FMI les critiques les plus acharnées. Et ce sont les pays en voie de développement, les plus grands bénéficiaires des crédits du FMI, qui sont particulièrement mécontents de cette institution.

La tradition existante veut que les pays occidentaux partagent entre eux la Banque mondiale et le FMI: la première a toujours été présidée par un Américain, alors que le second avait un directeur général européen. Au début du XXIe siècle cet état des choses a cessé de correspondre au rapport réel des forces dans l’économie mondiale. Et vers 2010 la situation est devenue franchement absurde.

La Chine, déjà devenue deuxième plus grande économie du monde disposant des plus importantes réserves monétaires de la planète, n’occupait que la 10ème place sur la liste des "pairs" du FMI. La première place revient traditionnellement aux Etats-Unis (avec la plus grande quote-part et le plus grand pouvoir de vote), suivis du Japon, de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne. Etant donné que le capital statutaire du Fonds était limité, la Chine se voyait dans l’impossibilité technique, malgré ses désirs, d’augmenter sa quote-part et, par conséquent, son pouvoir de vote lors de la prise des décisions.

Les choses ont commencé à changer sous Dominique Strauss-Kahn. Ainsi, en 2008 (DSK a été nommé directeur général du FMI en 2007), la décision a été prise (elle est entrée en vigueur en 2011) de redistribuer les quotes-parts des pays dans le capital statutaire. Par ailleurs, il a été décidé d’augmenter le capital statutaire de l’institution et de redistribuer le nombre de voix attribuées à chaque pays en fonction de sa quote-part. Le capital statutaire du FMI devrait passer de 283,4 milliards de DTS à 476,8 milliards de DTS (Droits de Tirage Spéciaux, instrument monétaire international créé par le FMI. Le DTS est déterminé à partir d’un panier de monnaies constitué du dollar américain, de l’euro, du yen, et de la livre sterling, et est à peu près égal à 1,5 dollar des Etats-Unis), c’est-à-dire à près de 750 milliards de dollars.

C’était Pékin et Moscou qui ont surtout prôné la nécessité d’ajuster le FMI aux nouvelles réalités. Au final, les quotes-parts de la Chine et de la Russie, ainsi que celles de l’Inde et du Brésil ont été augmentées et ces pays bénéficient désormais d’un "poids" accru au sein du FMI. La Chine est devenue le troisième plus grand membre du FMI derrière le Japon, et la Russie a pour la première fois rejoint le Top-10 de l’institution en termes de pouvoir de vote. C’est bien, mais absolument insuffisant, car les voix réunies de l’Europe Occidentale et des Etats-Unis restent tout de même plus nombreuses que celles des pays du BRIC (le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine).

Le départ de Dominique Strauss-Kahn est une excellente occasion de "revenir à ces moutons." La Chine estime même qu’il est temps de nommer un directeur général non-européen.

Asie vs. Europe: qui va l’emporter?

Le journal chinois Rénmín Ribao (Le Quotidien du Peuple), après avoir publié des articles sur le début de la mésaventure de Dominique Strauss-Kahn, a écrit qu’il était temps de mettre un Chinois à la tête du FMI. Globalement, cela est absolument juste. La Chine est la deuxième économie du monde derrière les Etats-Unis et, selon des experts, c’est grâce à elle que la planète se sort de la crise économique actuelle. Elle est donc parfaitement en droit d’espérer que son représentant sera mis à la tête du Conseil d’administration du FMI. Et pourquoi pas? Un Américain règne toujours, comme le veut la tradition, sur la Banque mondiale, et il n’y a aucune raison de ne pas "ajouter un peu plus de jaune" au FMI. Les Européens l’ont présidé dès sa fondation.

On ne sait pas si cette intention se concrétisera. Toutefois, on entend des noms non-européens parmi les éventuels successeurs de Dominique Strauss-Kahn. L’un d’eux est Kemal Derviş, ancien ministre des Finances de la Turquie et actuel administrateur du Programme des Nations unies pour le développement. On évoque également Stanley Fisher, Gouverneur de la Banque centrale d’Israël, et Agustín Guillermo Carstens Carstens, Gouverneur de la Banque centrale du Mexique.

Toutefois, pour le moment, les candidats les plus probables sont des Européens. C’est notamment Gordon Brown, ancien ministre britannique des Finances, et Christine Lagarde, actuelle ministre française des Finances. Cette dernière candidature paraît tout à fait acceptable. Au moins, elle est sûre ne pas voir un jour son honneur flétri en étant accusée d’agression sexuelle. Sauf que si elle est élue, le FMI connaîtra une véritable surreprésentation de directeurs généraux français: il y en a déjà eu quatre dans l’histoire de cette organisation.

A en croire la presse britannique, Gordon Brown est très optimiste quant à ses perspectives d'élection. Toutefois, le premier ministre britannique David Cameron a déjà déclaré qu’il souhaitait voir un non-Européen à la tête du FMI. Mais selon les mauvaises langues, il l’aurait fait davantage par réticence de voir à la tête du Fonds un ancien ministre travailliste des Finances plutôt que par souhait de rétablir l’équité financière.

Selon toute probabilité, le successeur de Dominique Strauss-Kahn sera nommé au terme d’un compromis et sera un personnage de transition. L’Europe et les Etats-Unis ne sont pas encore prêts à voir une tête absolument nouvelle sur les épaules du FMI.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала