Ordre mondial: la stabilité est-elle possible sans guerre?

© RIA Novosti . Sergei Krivosheev  / Accéder à la base multimédiaLes îles Kouriles
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L’aggravation inattendue du litige territorial entre Moscou et Tokyo pourrait s’expliquer par des motifs conjoncturels liés à la politique intérieure de la Russie et du Japon.

L’aggravation inattendue du litige territorial entre Moscou et Tokyo pourrait s’expliquer par des motifs conjoncturels liés à la politique intérieure de la Russie et du Japon. Mais il est plus important de la voir à travers le prisme des processus globaux qui ont commencé il y a plus de vingt ans à l’époque de la révolution géopolitique en Europe et de l’effondrement de l’Union soviétique.

Il n'existe pas de frontières définitives et immuables. Le statu quo fixant l’intangibilité des frontières pour une certaine période apparaît généralement après une guerre et suite aux accords entre les vainqueurs. Avec le temps, le rapport des forces change et les accords subissent une érosion. Les troubles suivants conduisent à la nouvelle répartition de l’influence et, par conséquent, à l’apparition d’autres puissances capables de garantir la stabilité des relations interétatiques, y compris dans la question frontalière.

Depuis 1945, Moscou et Tokyo n’arrivent pas à signer de traité de paix en raison du litige concernant les Kouriles du Sud. Le système actuel formellement en vigueur a pour point de départ la Seconde guerre mondiale et les événements qui l’ont suivie, et qui, dans le milieu des années 1960, ont conduit à l’apparition d’un équilibre relativement stable dans le monde. Les accords de Yalta et de Postdam qui ont défini les sphères d’influence en Europe (ils ont d’ailleurs arrêté le statut actuel des îles Kouriles), étaient un premier pas dans la formation du statu quo. L’étape suivante - la crise de Suez de 1956 -  a montré la perte par les puissances coloniales européennes de leur capacité de contrôler le monde, ce qui a conduit à une immense vague de décolonisation. La crise des missiles de Cuba de 1962 a indiqué la limite à ne pas franchir dans le domaine de la dissuasion nucléaire par l’URSS et les Etats-Unis.

La stabilité s’est ensuite établie alors que Moscou et Washington avaient les capacités maximales (mais pas absolues) de régler les processus globaux, y compris dans le domaine de l’inviolabilité des frontières. Ce n’est pas un hasard si l’initiative de détermination définitive de l’équilibre des forces et de démarcation des frontières en Europe est apparue en 1966 et a été mise en œuvre par la signature de l’Acte final d’Helsinki en 1975.

Il convient de souligner une fois de plus que c'est une conséquence de la Seconde guerre mondiale, dont le principal résultat fut l’apparition de deux nouveaux leaders incontestables de la politique internationale en la personne de l’URSS et des Etats-Unis. Ce sont leurs relations qui dans le contexte du déclin rapide de l’Europe en tant qu’acteur global déterminaient les tendances générales.

L’effondrement de l’Union soviétique a définitivement tiré un trait sur l’équilibre d’antan. En soi, ce choc était comparable avec les événements du passé qui ont impulsé la formation de l’ordre mondial. Cependant, comme la guerre froide ne s’est jamais transformée en véritable conflit, elle ne s’est pas conclue par la signature formelle d’un traité de paix. La nouvelle répartition du "pouvoir" global n’a pas eu lieu, bien qu’il ait semblé pendant une certaine période que tout le pouvoir avait été transmis intégralement à une seule superpuissance, à savoir les Etats-Unis. Mais au début du XXIe siècle, il a paru clair que Washington n’arrivait pas à assumer la fonction de force hégémonique globale, et il est probable qu'aucun autre pays ne serait parvenu à le faire.

L’absence de "cadre" solide se répercute sur tous les aspects des relations internationales, et les vingt années passées sans l’URSS ont été une époque de redéfinition des frontières. Quinze nouveaux pays ont fait leur apparition dans l'espace de l'ex-URSS (sans compter l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud "semi-reconnues", et le Haut-Karabakh et la Transnistrie non reconnus). Sept nouveaux pays ont succédé à la "grande" Yougoslavie. Ont été créés la République tchèque et la Slovaquie, l’Erythrée, le Timor oriental, le Soudan du Sud… Plusieurs pays sont en voie de désintégration pacifique, dans le cas de la Belgique, ou lourde de conséquences comme en Irak. Le sort du Proche-Orient reste très incertain à la lumière des derniers événements. Bien sûr, les causes et les scénarios sont différents mais la tendance générale est claire: les frontières sont mobiles.

Le phénomène est devenu évident à la fin des années 2000 lorsque les frontières administratives des républiques issues des anciens Etats fédérés ont cessé d’être un dogme. Jusqu’en 2008, les frontières apparues après l’effondrement de l’URSS et de la Yougoslavie étaient considérées comme inviolables, mais la reconnaissance du Kosovo, de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie a ouvert la voie à la révision de ces limites. Il est parfaitement clair que, par exemple, le règlement du problème du Haut-Karabakh serait impossible dans les frontières de la république soviétique d’Azerbaïdjan. Et la priorité pour la nouvelle génération de dirigeants de la Moldavie n’est pas le rétablissement de l’intégrité territoriale du pays dans ses frontières soviétique, mais l’intégration à l’Europe, et l'absence de règlement du problème de la Transnistrie constitue un obstacle.

En Asie, le "condominium de confrontation" russo-américain a également cimenté la situation, bien que le niveau de contrôle y ait été plus faible qu’en Europe: les relations entre les puissances asiatiques (la Chine et l’Inde, l’Inde et le Pakistan) obéissaient toujours à leur propre logique. Mais en ce qui concerne les questions territoriales en Asie orientale, la guerre froide a permis de geler les problèmes. La situation dépendait de l’équilibre des intérêts de l’URSS et des Etats-Unis, mais la Chine jouait également un rôle important en penchant d’abord d’un côté, puis de l’autre.

Le ministre japonais des Affaires étrangères Seiji Maehara a raison lorsqu’il déclare qu’entre Moscou et Tokyo la période d’après-guerre n’est pas terminée. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité, car cette période n’est pas terminée dans l'ensemble de l’Asie orientale. Toutes les contradictions les plus fortes (la partition de la Corée, les Kouriles, Taïwan) sont une conséquence de la Seconde guerre mondiale, et elles perdurent depuis des décennies. Et la fin de la guerre froide, malgré les attentes, ne s'est pas accompagnée du règlement rapide de la situation.

Dans l’ensemble, l’Asie devient une arène stratégique du XXI e siècle, et les foyers de conflits dans les régions explosives ont une importance particulière. D’autant plus qu’en Asie se trouve un pays dont l’influence sur la situation régionale et mondiale augmente rapidement: la Chine. C’est précisément l’influence du facteur chinois qui déterminera la répartition des forces, dont dépend le sort de tous les conflits hérités du passé. La montée générale de la tension dans la région (avant tout la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine) pourrait contribuer à l’aggravation des litiges interétatiques, et la situation dans la péninsule de Corée le confirme. Dans ce contexte, Moscou a pris la décision judicieuse de faire des concessions afin de régler au début des années 2000 les derniers différends territoriaux avec Pékin: 10 ou 15 plus tard il aurait fallu faire des concessions bien plus importantes.

 la charnière des années 1980 et 1990 a commencé une expérience historique sur l’établissement d’un ordre mondial sans guerre d'envergure et sans victoire dans cette dernière. Cette expérience se poursuit et tant qu'elle ne s’achève pas d’une manière ou d’une autre, il faut être prêt à tous les changements.

Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti

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