Kiev se risque à une alchimie entre nucléaire et politique

© Sputnik . Falin / Accéder à la base multimédiaLa centrale nucléaire ukrainienne de Zaporojie
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Les politiques de Kiev ont fait un pas de plus en vue de se débarrasser de la dépendance nucléaire envers la Russie dans le domaine énergétique.

Les politiques de Kiev ont fait un pas de plus en vue de se débarrasser de la dépendance nucléaire envers la Russie dans le domaine énergétique.

L'ukrainien Energoatom a signé un contrat avec Westinghouse Electric Company (Etats-Unis) portant sur des livraisons de combustible nucléaire pour la centrale Ioujno-Oukraïnskaïa dans la période 2011-2015. L'année dernière, les négociations se sont intensifiées avec des compagnies canadiennes sur la construction en Ukraine de réacteurs nucléaires CANDU (Canada Deuterium Uranium), "parents" obsolètes du réacteur RBMK qui avait explosé il y a 22 ans à Tchernobyl.

Ce remue-ménage atomique de Kiev s'explique par son aspiration à l'indépendance vis-à-vis des services nucléaires russes, auxquels l'Ukraine est liée en raison de l'ancienne parenté soviétique de tous ses systèmes techniques et projets en la matière. Quinze réacteurs de type VVER (réacteur de puissance à caloporteur et modérateur eau) construits à l'époque soviétique fonctionnent en Ukraine. Il est parfaitement logique que la Russie les approvisionne en combustible. La transaction conclue avec Westinghouse prévoit la livraison à la centrale Ioujno-Oukraïnskaïa de 630 cartouches de combustible au total, pour une recharge annuelle planifiée d'au moins 3 réacteurs de type VVER.

Cet événement n'aurait pas retenu l'attention (chacun a le droit à la diversification), s'il ne s'agissait pas du domaine atomique. Le fait est que l'exploitation d'une centrale nucléaire prévoit l'utilisation d'une technologie complexe et interdépendante n'admettant rien d'hétérogène. La sécurité implique que toutes les centrales nucléaires ukrainiennes existantes soient alimentées avec le combustible pour lequel elles ont été prévues, c'est-à-dire russe.

L'Ukraine devrait, semble-t-il, rejeter tout ce qui pourrait avoir trait à la tragédie de 1986. Cependant, les ambitions politiques de Kiev prennent le dessus sur le bon sens et éclipsent l'accident de Tchernobyl. "La décision prise est certainement politique, elle n'est nullement fondée sur des considérations économiques et scientifiques", estime Khoussein Tchetchenov, membre de la sous-commission pour le nucléaire civil de la Commission pour les monopoles naturels du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe). Je ne peux qualifier ce contrat que de malentendu. Le comportement de l'Ukraine rappelle la logique d'une anecdote connue: "Crèves-toi un oeil pour que ta belle-mère semble borgne".

La belle-mère est bien sûr Moscou. Et c'est Kiev qui se crève un oeil. Le fait est que, non content de d'être au moins 25% plus cher, le combustible de Westinghouse suscite des appréhensions sur le plan de la qualité. Il s'agit évidemment d'une décision impulsive: l'Ukraine venait d'examiner avec les Russes les conditions des livraisons de combustible après 2010 et, tout à coup, elle signe un contrat avec Westinghouse, qui plus est avec de multiples réserves, qui trahissent les doutes de la partie ukrainienne.

Par exemple, l'Ukraine se réserve le droit de dénoncer le contrat si l'utilisation industrielle du combustible américain n'est pas autorisée. Un autre "hic" est encore plus piquant: les Ukrainiens peuvent arrêter la mise en oeuvre du contrat en cas de défaillance technique massive du combustible de Westinghouse. Quel est l'intérêt pour un pays d'accepter des risques nucléaires de ce niveau? Les experts sont certains que si le combustible américain est effectivement utilisé pour les réacteurs de fabrication russe, le risque d'accident grave à la centrale nucléaire Ioujno-Oukraïnskaïa s'accroîtra de plusieurs fois.

Il n'y a pas longtemps, même les pointilleux Finlandais ont préféré utiliser du combustible russe pour leur réacteur construit par les Russes, refusant l'offre de Westinghouse. Autre exemple: l'utilisation du combustible américain à la centrale nucléaire tchèque de Temelin a entraîné une menace de panne du réacteur. Le bon sens a contraint Prague à revenir aux technologies russes, en dépit des considérations politiques. Les Hongrois ont vécu un épisode encore plus significatif de ce genre. La règle des "technologies apparentées" a été négligée à la centrale nucléaire de Paks où le lavage des cartouches du deuxième réacteur a été confié à la compagnie franco-allemande Framatome ANP, et non aux spécialistes russes. A la suite de l'emploi de technologies "hétérogènes", le puits N°1 du deuxième réacteur a été mis hors service, et 30 cartouches de combustible nucléaire ont été endommagées. Il a fallu recourir d'urgence à des spécialistes russes qui ont mis trois ans et demi pour remédier à la situation, grâce à un projet de restauration exceptionnel fondé sur les know-how de la firme. Cette panne nucléaire a été qualifiée par l'AIEA "d'incident grave" de troisième niveau d'après l'échelle internationale d'évaluation des événements dans le domaine de la sécurité nucléaire INES.

Le passage à une technologie d'un autre type implique un immense travail qui entraîne de grandes dépenses. Le changement de paradigme entraîne toujours de nombreux problèmes: changement de la mentalité, de l'infrastructure, de la politique technique, recyclage des spécialistes, etc. En tout cas, personne au monde n'a une réelle intention d'agir d'une manière aussi irrationnelle. "L'utilisation du combustible de Westinghouse dans les réacteurs russes des centrales nucléaires ukrainiennes comporte un risque, on joue ainsi avec le feu, estime Sergueï Komarov, directeur adjoint de l'Institut des problèmes du développement énergétique des régions. Essayer des équipements qui se sont déjà avérés peu sûrs, surtout dans une zone aussi sensible qu'un réacteur nucléaire, n'est rien d'autre que de l'irresponsabilité".

"Il est étrange que l'Ukraine ne tienne pas compte de l'expérience d'autres pays. Les projets de diversification des livraisons de combustible à l'Ukraine seraient-ils plus importants que la sécurité de son propre peuple?, se demande Iouri Stoujev, ancien chef de la centrale nucléaire d'Obninsk (la première de l'histoire), dans les environs de Moscou. Si un accident venait à se produire à la centrale nucléaire ukrainienne à cause du combustible américain de mauvaise qualité, à qui en incomberait la responsabilité?"

Et en effet, à qui?

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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