Euthanasie: compassion ou intérêt?

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Mort douce, meurtre par compassion... C'est ainsi que la plupart des dictionnaires et encyclopédies expliquent le mot grec d'euthanasie.

Mort douce, meurtre par compassion... C'est ainsi que la plupart des dictionnaires et encyclopédies expliquent le mot grec d'euthanasie.

D'habitude, ces ouvrages se réfèrent à Francis Bacon qui serait le premier à avoir introduit le terme dans l'usage européen. Cependant, la réputation du philosophe anglais et bien d'autres arguments ne sont d'aucun secours pour les militants russes de la "mort douce", soucieux de faire passer au parlement une loi sur l'euthanasie, comme cela a été fait aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Colombie et dans les Etats américains de Californie et d'Oregon. La grande majorité des responsables politiques, médecins de renom et dignitaires religieux russes, leaders de l'opinion en la matière, opposent à l'euthanasie un "niet" catégorique.

Pendant plusieurs années, le mouvement Radicaux russes a tenté de soumettre à l'examen de la Douma (chambre basse du parlement russe) son projet de loi sur l'euthanasie (largement inspiré du modèle belge), et n'a jeté l'éponge que très récemment. Alors que la société russe penche plutôt du côté des valeurs conservatrices, les initiatives radicales proposant de légaliser l'euthanasie au même titre que la prostitution et les drogues douces sont perçues par beaucoup comme une mauvaise plaisanterie, sans oublier le fait que l'euthanasie a pour la première fois été légalisée par les nazis allemands qui ont tué dans les camps de concentration une énorme quantité de "sous-hommes", encore que ces arguments se fassent entendre rarement, seulement quand la discussion devient particulièrement chaude.

Les hésitations inhérentes aux Russes revêtent un caractère pratique et ne sont pas du tout politisées. Pour Sviatoslav Medvedev, directeur de l'Institut du cerveau (Académie russe des sciences), il est encore prématuré d'adopter une loi sur l'euthanasie en Russie. Premièrement, d'après lui, le niveau contemporain des connaissances médicales ne permet pas d'établir un diagnostic précis: les cas de guérison inattendue des malades "incurables", selon la médecine contemporaine, sont connus et arrivent plus ou moins régulièrement. Deuxièmement, ce qui est plus important encore, l'euthanasie, une fois légalisée en Russie, risque de servir d'abri à la "criminalité des blouses blanches", phénomène très dangereux qui gangrène la communauté médicale.

Le vice-président de la Douma, Vladimir Jirinovski, n'en est pas moins sincère. "Même si nous adoptons une loi impeccable sur l'euthanasie, nous serons incapables de contrôler son application, explique-t-il. Les meurtres ayant pour mobile des affaires d'héritage ou de biens immobiliers ou n'importe quel autre motif crapuleux seront ainsi légalisés. Le nombre de morts prématurées va grimper".

Il est à noter qu'on parle en Russie moins de l'euthanasie passive - arrêt du traitement d'entretien pour les malades incurables - que de l'euthanasie active - injection intentionnelle de produits mortels avec l'accord du patient ou mise à disposition de produits mortels en vue d'un suicide.

L'Américain Jack Kevorkian, surnommé "Docteur Suicide", qui a aidé à mourir 130 malades à l'époque où l'euthanasie n'était légalisée nulle part dans le monde, se croyait humaniste. Quoiqu'il finît par être condamné par le tribunal de l'Etat du Michigan, son innocence a été reconnue à plusieurs reprises. Aujourd'hui encore, il serait condamné dans la plupart des Etats américains et des pays européens, alors que dans d'autres pays européens, fussent-ils minoritaires, il serait un praticien comme les autres.

Si les valeurs humaines universelles existent en réalité, quelle place parmi ces valeurs faut-il réserver à l'euthanasie? Le "niet" russe ne veut pas dire que la question soit réglée une fois pour toutes. Il y a quatre ans, le centre Romir a rendu publics les résultats sensationnels d'un sondage: sur 1.500 personnes interrogées dans presque la moitié des régions russes, 281 estimaient que l'euthanasie était justifiée dans tous les cas, et 306 autres déclaraient que l'euthanasie l'était dans la plupart des cas. Les sociologues parlent sérieusement d'une tendance massive.

En Russie, l'euthanasie s'est retrouvée au centre de l'actualité à la fin de 2004, à l'occasion d'un procès qui se déroulait à Rostov-sur-le-Don. Deux adolescentes, Marta Chkermanova et Kristina Patrina, ont tué leur voisine Natalia Barannikova, gravement malade, en emportant de son armoire une boîte contenant onze bijoux que la pauvre femme avait préparée en signe de reconnaissance à celui qui la débarrasserait de ses souffrances faisant suite à un accident de la route. Les juges ont rejeté les arguments de la défense en condamnant les prévenues pour "homicide en réunion sur une personne sans défense".

Ce jugement lance un message clair à tous ceux qui souhaiteraient répéter la triste expérience de la "mort douce" rémunérée. Pour Vera Millionchtchikova, médecin en chef de l'hospice n°1 de Moscou, la solution du problème de l'euthanasie est simple comme bonjour: tout simplement, les malades incurables ne devraient pas se sentir abandonnés, et personne n'aurait alors envie de recourir à l'euthanasie.

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