Vol KAL-007 pour Séoul: 25 ans de mystère

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Par Ilia Kramnik, RIA Novosti
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti

L'incident survenu lors du vol KAL-007 New-York - Anchorage - Séoul dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1983, au cours duquel un Boeing 747 sud-coréen fut abattu par un chasseur intercepteur soviétique au-dessus de Sakhaline reste l'un des épisodes les plus graves et les plus contestés de la guerre froide. Cet incident permet de faire un parallèle avec un incident semblable, survenu au cours de l'été 1988: le croiseur lance-missiles américain Vincennes avait abattu un Airbus iranien A-300 au-dessus du golfe Persique.

En septembre 1983, la situation en Extrême-Orient fut marquée par une forte tension: les avions de combat et de reconnaissance américains avaient maintes fois effectué des vols le long des frontières de l'URSS et les unités soviétiques de DCA étaient mises en état d'alerte plusieurs fois par jour. Les avions espions américains RC-135, une version de l'avion de ligne B-707, furent les hôtes les plus fréquemment observés à proximité des frontières soviétiques.

L'avion de ligne B-747 de la compagnie Korean Air avait décollé de New York le 31 août 1983. Après avoir atterri afin de refaire le plein de carburant sur l'aéroport d'Anchorage, il redécolla le 1er septembre à 3 heures du matin (heure locale) d'Anchorage pour mettre le cap sur Séoul. Il y avait à son bord 269 personnes, dont 246 passagers. Son itinéraire devait passer au-dessus de l'océan, le long du littoral du Kamtchatka et des îles Kouriles, puis survoler le Japon. Cependant, aussitôt après être sorti de l'espace aérien des Etats-Unis, l'avion de ligne dériva de sa trajectoire initiale vers l'ouest.

Peu de temps après, le Boeing viola l'espace aérien soviétique au-dessus du Kamtchatka. L'avion ne répondait pas aux tentatives de liaison et, de plus, son signe radar était très proche de celui d'un RC-135, les deux appareils étant de dimensions comparables. Lorsque l'avion passa près de la base de sous-marins nucléaires soviétiques à Vilioutchinsk et de l'aérodrome d'Elizovo, un MiG-23 fut envoyé en vue de l'intercepter, mais l'ordre d'ouvrir le feu ne fut pas donné. Survolant le Kamtchatka, le pilote de l'avion de ligne contacta Tokyo et transmit des coordonnées erronées quant au lieu où il se trouvait.

Peu après, l'avion en infraction quitta l'espace aérien soviétique pour se diriger vers Sakhaline. En survolant l'île, il contacta de nouveau les contrôleurs aériens japonais et leur fit savoir qu'il se rapprochait de Séoul. L'avion ne répondait toujours pas aux avertissements soviétiques. En fin de compte, le commandant Ossipovitch, pilotant un chasseur intercepteur Su-15 appartenant à l'aviation de DCA de l'URSS, reçut l'ordre d'attaquer et de détruire l'appareil qui fut pris au sol pour un avion de reconnaissance. Le radar indiquait que c'était un RC-135 et l'obscurité due à la nuit ne permettait pas de définir avec précision le type d'avion dont il s'agissait: on ne distinguait qu'une silhouette sombre avec quatre moteurs.

Tout d'abord, le pilote somma l'avion de ligne d'atterrir sur l'aérodrome soviétique le plus proche et lança des tirs de sommation. La communication radio fut enregistrée:

6.13:05 - Je le vois sur l'écran, et en visuel.

6.13:26 - La cible ne répond pas.

6.19:08 - Ils ne me voient pas.

6.20:49 - Je procède à des tirs de canon.

6.23:37 - Maintenant, j'envoie les missiles.

6.26:20 - Le lancement a été effectué.

6.26:22 - La cible est détruite.

La destruction du Boeing entraîna un scandale mondial. 24 heures après l'incident, les Etats-Unis accusèrent l'URSS d'avoir détruit intentionnellement un avion de ligne avec 270 passagers et membres d'équipage à son bord. Les dirigeants soviétiques nièrent d'abord toute implication dans cet incident, en se bornant à déclarer que l'avion avait "disparu des écrans radars". Ce n'est que le 9 septembre 1983 que l'URSS reconnut avoir abattu l'avion. Ce "retard" valut aux dirigeants de l'URSS des pertes considérables dans la guerre médiatique: les opposants les accusèrent d'avoir dissimulé intentionnellement l'information en vue de se dégager de toute responsabilité.

L'enquête officielle de l'OACI (Organisation de l'aviation civile internationale) conclut que les pilotes sud-coréens avaient commis une erreur lors du réglage des appareils de navigation et du pilotage automatique et qu'ils n'avaient pas vérifié leurs coordonnées, entraînant ainsi une violation de l'espace aérien soviétique. L'absence de réactions face aux tentatives de liaison soviétiques s'explique par la circonstance suivante: ignorant l'ampleur de la déviation par rapport à l'itinéraire de l'avion, les contrôleurs aériens soviétiques et les services de DCA avaient adressé leurs avertissements sur des fréquences utilisées par les militaires, c'est pourquoi ils ne furent pas entendus.

D'autre part, cette conclusion suppose l'incompétence flagrante de l'équipage, ce qui est peu probable. Certains experts, aussi bien soviétiques qu'étrangers, estiment que le Boeing était utilisé par les services secrets américains en vue d'inspecter le système de DCA de l'URSS. En tant que preuves indirectes de cette version, on cite l'issue très étrange de l'opération de sauvetage, à la suite de laquelle aucune trace des victimes de la tragédie ne fut retrouvée.

En comparant cet incident avec ce qui s'est produit le 3 juillet 1988 au-dessus du golfe Persique, on ne peut que constater que le croiseur américain a abattu un avion de ligne civil qui volait dans son corridor en plein jour, dans les conditions d'une visibilité parfaite et que le croiseur disposait d'appareils lui permettant de distinguer un avion de ligne d'un avion de combat.

Mais c'était en 1988 et personne au Kremlin n'avait qualifié les Etats-Unis "d'empire du mal".

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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