Le cinéma russe retrouve son prestige

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Par Anatoli Korolev, RIA Novosti
Par Anatoli Korolev, RIA Novosti

Quels sont les meilleurs films russes sortis au cours de ces derniers mois?

Cette question n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air. Car le cinéma russe contemporain s'est divisé en deux groupes qui se font concurrence. Leurs adeptes se sont réunis autour des deux prix cinématographiques nationaux les plus importants: l'Aigle d'or, fondé par le célèbre réalisateur Nikita Mikhalkov, et le Nika, inspiré par le cinéaste Iouli Gousman. Le jury du premier prix s'oriente en premier lieu vers un style classique et les valeurs nationales, tandis que le second encourage plus souvent les recherches avant-gardistes et défend les valeurs libérales. La rivalité entre ces deux "branches" est à l'origine de la principale intrigue dans le cinéma russe contemporain.

Cinq films ont été nominés dans la catégorie du Meilleur film de l'année en 2007 par les sélectionneurs de l'Aigle d'or: "Voyage avec des animaux de compagnie" de Vera Storojeva, "Les choses simples" d'Alexeï Popogrebski, "Mongol" de Sergueï Bodrov, "L'Artiste" de Stanislav Govoroukhine et "12" de Nikita Mikhalkov.

Les critiques étaient certains que le prix serait attribué à Mikhalkov. Et ils ont eu raison. C'était une victoire méritée et prévisible; ce n'est pas un hasard si ce film a été nominé pour l'Oscar du meilleur film étranger. Il s'agit d'un remake du film américain "Douze Hommes en colère" (1957) de Sidney Lumet. L'action se passe dans le gymnase d'une école qui fait office de salle d'audience, où douze jurés doivent prononcer leur verdict dans l'affaire d'un adolescent tchétchène accusé d'avoir assassiné un officier russe, son père adoptif.

Le film retient l'attention du spectateur jusqu'au dernier moment, d'autant que cette histoire particulière se déroule avec comme toile de fond la terrible guerre tchétchène, une guerre qui a scindé la société russe. Bien qu'à l'heure actuelle, la Tchétchénie soit une région pacifique, les souvenirs du passé sont toujours douloureux. "12" s'est classé parmi les leaders du box-office russe en 2007.

Quant au prix Nika, les favoris de la course étaient autres: c'est le film "Mongol" de Sergueï Bodrov qui a remporté le plus de statuettes. Nikita Mikhalkov, dont le nouveau film a également été nominé, a retiré sa candidature au dernier moment.

Ces mêmes divergences artistiques démontrent un fait rassurant: la Russie est sortie de la crise culturelle et a regagné le Top-5 des leaders mondiaux, le cinéma russe ayant notamment profité du bien-être financier du pays. On tourne sans relâche 24 heures sur 24 dans les studios Mosfilm et d'autres studios russes. Le réseau de distribution a été reconstitué et de nouveaux multiplex ont été construits. Aujourd'hui, les Russes, qui ont toujours aimé le cinéma, fréquentent de nouveau les salles, après une longue pause.

Qui plus est, les films russes contemporains arrivent à faire concurrence aux productions hollywoodiennes. La superproduction russe "Night Watch" de Timour Bekmambetov a même battu le record de recettes en Russie établi par "Le Seigneur des anneaux" et l'un des épisodes de la saga de Harry Potter.

Une cinquantaine de nouveaux films sont tournés annuellement en Russie, grâce au financement d'investisseurs privés mais aussi de l'Etat. Or, il y a sept ou huit ans, la situation était tout autre. La désintégration de l'URSS a eu des conséquences catastrophiques pour le cinéma russe, qui était jusqu'alors financé à cent pour cent par l'Etat soviétique. Des sommes considérables (comparées au budget national) étaient investies dans la production cinématographique. Le Parti communiste avait bien retenu le slogan propagandiste de Vladimir Lénine: "De tous les arts, le cinéma [...] est pour nous le plus important". Cependant, c'est dans le domaine du cinéma, en dépit du contrôle idéologique, qu'une situation paradoxale s'est mise en place: les artistes avaient la possibilité d'y expérimenter, de chercher de nouvelles formes d'expression. Bien que ces réformateurs à l'esprit libre fussent peu nombreux, le cinéma soviétique avait tout de même réussi à obtenir des résultats remarquables. Des films tels que "Le Cuirassé Potemkine" de Sergueï Eisenstein, "Arsenal" d'Alexandre Dovjenko, "Quand passent les cigognes" de Mikhaïl Kalatozov, "L'enfance d'Ivan" et "Andreï Roublev" d'Andreï Tarkovski, ou encore "Guerre et paix" de Sergueï Bondartchouk ont été appréciés dans le monde entier.

Mais avec le démembrement de l'Union soviétique, le mécanisme bien réglé de financement du cinéma a arrêté de fonctionner du jour au lendemain: Mosfilm, les plus grands studios d'Europe, se sont dépeuplés, les salles de cinémas ont été louées à des magasins de meubles et des casinos. Dans les années 1990, la Russie produisait moins de dix films par an, contre 100-120 à l'époque soviétique. Qui plus est, les spectateurs n'avaient guère la possibilité de voir ces films, les distributeurs négligeant la production russe en faveur des films américains.

Aujourd'hui, le cinéma russe s'est rétabli. Quels sont les cinéastes sans lesquels on ne peut imaginer le cinéma russe contemporain? Je citerais les noms d'Alexandre Sokourov, Alexeï Guerman et Andreï Zviaguintsev. Ces trois metteurs en scène mondialement connus se tiennent toujours en retrait et ne participent pratiquement pas à la vie de la communauté cinématographique. Année après année, Alexandre Sokourov continue de refuser poliment de participer à des concours cinématographiques. Sa position est largement connue: "Je ne juge pas possible de participer à la vie du cinéma russe car personne ne connaît mes films en Russie".

Certes, le grand réalisateur a tort et son nom est connu de tous les amateurs de cinéma, mais - et là, il a raison - les films du maître sortent très rarement en salles à cause de leur extrême complexité, surtout lorsqu'on parle de ses films de fiction (car Sokourov réalise également des documentaires mais dans ce cas, il emploie un langage beaucoup plus accessible). Les films les plus célèbres de ce cinéaste ("Moloch", "Taureau", "Le Soleil") ne sont jamais sortis en salles en Russie. Le dernier film du maître, "Alexandra", parle du voyage en Tchétchénie de la grand-mère d'un soldat, interprétée par la grande cantatrice Galina Vichnevskaïa, veuve du célèbre violoncelliste Mstislav Rostropovitch. Il s'agit probablement du meilleur film élitiste russe de l'année dernière.

Alexeï Guerman se tient à l'écart lui aussi. Il est connu pour sa manière particulière de travailler, scrupuleuse et éreintante, à tel point que le tournage d'un film dure des années. Il a mis plus de dix ans (!) à achever le tournage de son dernier film, une adaptation à l'écran du roman de science-fiction "Il est difficile d'être un dieu" d'Arkadi et Boris Strougatski. Le maître vient juste de commencer le montage du film, qui prendra sans doute encore quelques années.

Le travail du jeune génie Andreï Zviaguintsev est également couvert de mystère. Son premier film, "Le Retour", a obtenu le Lion d'or ainsi que le Prix Luigi De Laurentiis pour le meilleur premier film à la 60e Mostra de Venise, et d'autres récompenses encore. Il a mis plusieurs années à tourner son deuxième film, "Le Bannissement", et ce, dans le plus grand secret. Les critiques ont également qualifié cette oeuvre d'événement marquant, mais il est presque impossible de voir le film sur grand écran. Les distributeurs refusent de projeter un film aussi compliqué et purement élitiste.

Dans une situation compliquée de lutte de clans, de capitaux et d'amours-propres, la Guilde des critiques de cinéma russe essaie d'établir son propre classement. Le prix Eléphant blanc est un signe de reconnaissance de la part des professionnels du cinéma et de la presse cinématographique. Les critiques sont loin de suivre la voie des deux prix nationaux et choisissent leurs propres favoris. L'année dernière, ils ont récompensé le film "Cargaison 200" d'Alexeï Balabanov. Dans le langage militaire, le terme "cargaison 200" désigne le cercueil contenant le corps d'un soldat que l'on rapatrie dans sa ville natale. Mais le film de Balabanov n'est pas consacré précisément à la guerre mais au passé soviétique, notamment à la vie simple de Leninsk, une ville de province fictive, en 1984. La ville reçoit les cercueils contenant les corps des citadins tués en Afghanistan. Le personnage principal du film est un policier maniaque qui enlève et torture la fille d'un fonctionnaire provincial de premier plan. Selon les critiques, le cinéma russe n'a pas encore connu de film aussi lugubre et sinistre. Le public a été partagé après la sortie de cette oeuvre: une petite partie des spectateurs ont adoré ce film, les autres rejettent l'idée d'un cinéma présentant de telles atrocités.

Bref, après la période de crise relativement longue des années 1990, le cinéma russe reprend du poil de la bête et propose des films de tout genre, renouant avec les grandes traditions du cinéma soviétique.

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