Tchétchénie: la Constitution est plus attrayante que la charia

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MOSCOU (par Youri Filippov, commentateur politique de RIA Novosti).

Les élections au parlement tchétchène sont prévues pour octobre 2005. Si elles se tiennent, la république "rentrera entièrement dans le cadre constitutionnel", affirme Taous Djabraïlov, président du Conseil d'Etat. Bien entendu, en tant que Tchétchène et président du Conseil d'Etat tchétchène, Taous Djabraïlov entend par "cadre constitutionnel", avant tout, la Constitution de la Tchétchénie et non pas celle de la Russie. Il est vrai que la Constitution tchétchène actuelle n'est nullement contraire à la Constitution russe. En ce sens, après avoir adopté par référendum, il y a deux ans, sa nouvelle Constitution et proclamé que la Tchétchénie est une partie inaliénable de la Fédération de Russie, cette république ne se distingue en rien des 20 autres républiques de la Russie.

Le "rétablissement de la légalité constitutionnelle et de l'ordre public" était l'objectif principal au nom duquel le président russe Boris Eltsine avait envoyé les troupes fédérales combattre dans les montagnes et les plaines de la Tchétchénie. Pour mettre fin, d'une manière ou d'une autre, à cette guerre impopulaire, Moscou était, en fait, contraint de reconnaître, moins de deux ans plus tard, le retrait de la Tchétchénie de l'espace constitutionnel russe et de lui accorder le statut dit "reporté".

Cela signifiait que les Tchétchènes avaient reçu de la Russie les droits que la Géorgie, par exemple, refuse toujours aux Abkhazes et aux Ossètes et la Moldavie, aux habitants de la Transnistrie. Le fait est que certaines ex-républiques soviétiques, dont la Russie, la Géorgie et la Moldavie, comprenaient des autonomies. Lorsque l'Union Soviétique s'est désintégrée, certaines autonomies se sont proclamées Etats indépendants. Il y avait probablement à cela de réels fondements juridiques, car, dans les constitutions, chaque autonomie s'appelait "Etat socialiste soviétique" et son appartenance à d'autres républiques et à l'Union Soviétique était considérée comme tout à fait bénévole.

Cependant, la Tchétchénie n'avait pas édifié d'Etat indépendant. Alors que la vie pacifique se normalisait et que l'économie et la sphère sociale fonctionnaient en Abkhazie et en Ossétie du Sud, républiques voisines qui avaient accédé, de facto, à l'indépendance après les guerres de courte durée avec la Géorgie, ce n'était pas le cas en Tchétchénie.

Certains Européens sont convaincus que le fil conducteur des nouveaux dirigeants tchétchènes était le traité de Kant sur le monde éternel et que leur idéal était une république démocratique de type européen. En réalité, les choses étaient différentes. Aussitôt après avoir célébré la victoire, les nouveaux détenteurs du pouvoir en Tchétchénie ont introduit la charia et implanté la législation islamique, ce qui se traduisait par les exécutions publiques et les flagellations sur les places.

La traite des esclaves était florissante dans la république, et les représentants du nouveau pouvoir excellaient dans la pratique de cette activité lucrative: quelques otages aisés pris à Moscou et dans d'autres régions de la Russie pouvaient rapporter deux millions de dollars. Le nouvel idéal de l'Etat tchétchène n'était pas la démocratie européenne, mais l'organisation politique des localités à l'instar de celles de l'Arabie du temps de Mahomet. Certains Tchétchènes rêvaient sérieusement de répéter les exploits du prophète en propageant la foi authentique: par exemple, créer un califat islamique s'étendant sur les territoires russes voisins. Le chef de guerre, ensuite le terroriste international, Chamil Bassaiev qui apparaît chaque fois devant le public aux cris invariables de "Allah Akbar!" a fait irruption avec une bande de terroristes locaux et de mercenaires étrangers au Daghestan, république riveraine de la Caspienne, a occupé deux villages et repoussé pendant quelques jours les assauts des milices populaires daghestanaises et des forces fédérales. Il y avait ensuite les explosions de maisons d'habitation à Moscou et Volgodonsk faisant des centaines de victimes, les explosions d'avions, la prise d'otages de l'école de Beslan et des centaines d'autres actes terroristes.

La Russie ne pouvait pas éviter la "deuxième guerre tchétchène". Commencée en automne 1999, celle-ci a été plus réussie que la première non seulement pour Moscou, mais aussi pour les Tchétchènes qui ne préféraient pas la charia à la constitution. Lorsque l'armée russe a écrasé les principales forces séparatistes, les lois russes ont peu à peu commencé à être restaurées dans la République de Tchétchénie.

A bout de quelques années, ce processus avait tellement progressé que les Tchétchènes avaient adopté par référendum, au début de 2003, la Constitution républicaine conforme à la législation russe et élu, à la fin de 2003, Akhmad Kadyrov au poste de président. C'était un personnage de compromis: d'une part, on l'appelait "l'homme du Kremlin", mais, de l'autre, Akhmad Kadyrov était un ancien chef de guerre et ancien mufti de la Tchétchénie. Il avait lutté à l'époque contre la Russie pour l'indépendance de sa patrie.

Akhmad Kadyrov a trouvé la mort dans l'acte terroriste commis en mai 2004. Fin août, son poste a été occupé par le général Alou Alkhanov, ministre tchétchène de l'Intérieur. A la différence d'Akhmad Kadyrov, il n'a jamais été ni séparatiste, ni mufti, ni même connaisseur de la charia. Au contraire, fort de son expérience acquise dans les organes judiciaires, Alou Alkhanov comprend bien le sens de la législation civile russe et est prêt à la mettre en œuvre.

"Dans un an, la Tchétchénie sera une entité ordinaire de la Fédération", a déclaré Alou Alkhanov le jour de son investiture. Il est vrai que les changements survenus dans les états d'esprit des Tchétchènes sous la présidence d'Alou Alkhanov sautent aux yeux. Le nouveau président vise effectivement à faire de la Tchétchénie une région "ordinaire" de la Russie et ainsufflé son énergie à de nombreux Tchétchènes.

Il n'y a pas longtemps, Alou Alkhanov a soumis à l'étude un texte traitant de la délimitation des compétences avec le centre fédéral. Il propose de former dans la Tchétchénie fortement éprouvée par la guerre la base fiscale indispensable au rétablissement de la république et au développement de son économie. En effet, jusqu'à ces derniers temps, les Tchétchènes n'avaient pas les moyens de payer l'électricité et le gaz domestiques. Si la république dispose de ses propres fonds, elle aura absolument besoin du parlement dont parle le président du Conseil d'Etat Taous Djabraïlov. Il faudra former le budget, contrôler son exécution et appliquer une politique fiscale. A défaut de quoi, la Tchétchénie ne pourra pas devenir une "entité ordinaire de la Fédération" ni revenir dans le "cadre constitutionnel" que la majorité de Tchétchènes préfèrent évidemment à la charia moyenâgeuse accompagnée de la traite des esclaves et du terrorisme international.

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