Poutine a redressé la Russie, ce qui a joué en sa défaveur, dixit Hubert Tison

Poutine a redressé la Russie, ce qui a joué en sa défaveur, dixit Hubert Tison
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Le douzième dialogue de Poutine avec la population – une pratique annuelle dont le succès est loin de se démentir – a curieusement fait la une du Huffington Post qui a titré son article de la façon suivante : « Pourquoi les Russes aiment tant Poutine, ce Président détesté par tout l’Occident ? ».

Cette question à telle point caricaturale qu’on la croirait dénuée de tout sérieux me fait irrésistiblement penser à un brillantissime article d’Olivier Berruyer dont le titre, pétillant de sarcasme, est une bonne réponse à nos collègues de la gauche : « Poutine me fait peur » ;

Aïe, c’est vrai qu’il est méchant ce Poutine, ce n’est pas comme Obama qui a bien mérité son Nobel de la paix en égrenant le chapelet du néoconservatisme. Et puis l’armée russe, quelle horreur ! C’est vrai que l’OTAN, cet archange au glaive ardent rendant la justice ici-bas n’aurait jamais fait autant de mal ! Il aurait simplement bombardé Damas, il aurait simplement imposé à la Crimée le gouvernement néo-nazi putschiste de Kiev, il aurait, il aurait, il aurait … enfin, allez jeter un coup d’œil furtif sur ces pays florissants que sont la Serbie, l’Irak, la Lybie et d’autres clients de « l’ange miséricordieux ». Poutine n’a même pas été capable d’en faire un centième, quel mystère que cet homme ! Et en plus, il n’aime pas les homos. Non pas qu’il les condamne à mort, ça, c’est la spécialité de l’Arabie Saoudite, un partenaire de confiance, mais il leur interdit de propager le mode de vie gay parmi les mineurs. Décidément, voilà qui est digne d’un dictateur incorrigible. Au lieu d’imposer des restrictions aux gays, il ferait mieux d’implanter ses bases militaires dans 175 pays différents comme l’ont fait les USA, cette citadelle de la démocratie.

Mais c’est en éminent spécialiste de la finance et des crises économiques qu’Olivier Berruyer nous apprend que Poutine est coupable d’un autre grand péché : il a redressé l’économie russe. Comme si la courbe eltsinienne de l’économie russe ne le satisfaisait pas ! Le résultat est catastrophique : le pouvoir d’achat a doublé en 15 ans (il est 4 fois supérieur à celui des Ukrainiens), l’inflation qui était à 100% vers la fin du mandat de Eltsine est devenue presque nulle, quant à la balance commerciale, elle est excédentaire.

Voici, grossièrement repris, le style emprunté par M. Berruyer pour réinformer des lecteurs médiatiquement intoxiqués. Quant à la jalousie, franchement, chers collègues de gauche, on ne vous a pas dit que c’était un vilain défaut ? On peut bien avoir une côte de popularité de 80 % sans être un abominable despote versé dans les méthodes staliniennes ! Et n’allez pas me dire que les Russes n’ont pas le choix ! Si Mitterrand est resté au pouvoir quinze ans emporté en définitive par un cancer cela ne signifie pas que les Français votaient à gauche sous la contrainte.

La preuve, les gens semblent vouloir dialoguer avec Poutine puisqu’on a comptabilisé plus de 1 million d’appels téléphoniques, près de 230.000 textos et plus de 100.000 questions sur le site. Je précise qu’on était jeudi et que la séance se tenait entre midi et dix-sept heures, c’est-à-dire quand les gens étaient en plein dans le travail. Et il faut dire que les participants furent récompensés le Président s’étant beaucoup donné lors de la séance questions-réponses en s’investissant à fond dans le traitement de la question ukrainienne. Comme quoi, Thierry Mariani avait raison de le sous-entendre, Poutine n’a pas vocation à succomber aux nouvelles listes Magnitsky dressées par Washington et encore moins au « choc culinaire » que représente la fermeture des McDonald’s en Crimée.

Cette mise au point effectuée, je vous présente le point de vue éclairé de M. Hubert Tison, rédacteur en chef de la revue « Historiens et Géographes », Secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie.

La Voix de la Russie. « L’Occident et notamment hélas la France à travers ses médias de gauche comme Le Monde a souvent tendance à taxer Poutine de dictateur. Pourtant, on a rarement vu un dictateur dialoguer de manière régulière (annuelle en l’occurrence) avec son peuple. Alors à quoi tient selon vous cette image étrange véhiculée par une presse qui reste dominante ?

Hubert Tison. Je ne suis pas d’accord pour qualifier Poutine de dictateur puisque l’URSS a connu un parti impérialiste et dictatorial, en l’occurrence le parti communiste de l’URSS. Elle a également connu la figure dominante de Staline. On ne peut donc pas comparer Vladimir Poutine à ses prédécesseurs. Simplement, le fait qu’il ait redressé l’image de la Russie sur les plans politique et économique a sans doute joué en sa défaveur. Le fait notamment qu’il ait réussi à rétablir la situation économique – entreprise difficile ! – après le désastre de Eltsine aurait pourtant dû être apprécié de l’extérieur. Il convient donc de prendre du recul tout en reconnaissant que les vagues de dénigrement du Président russe pourraient être liées à certaines violations présumées des droits de l’homme, par exemple dans le Caucase même si on évoque à présent la Crimée. On crie aussitôt au dictateur sans pourtant dire que la Russie est une démocratie. Il y a un Parlement, il y a des élections … enfin, même s’il y a des pressions mais là encore, il faut dire qu’il y en a dans n’importe quel pays. Quand on sait que le Président dialogue avec son peuple, on se rend compte qu’il s’agit d’une pratique tout à fait démocratique à condition que cela ne se fasse pas pour construire un culte ou une image hypertrophiée de soi. Au-delà des jugements de valeur, il faut considérer les faits et les replacer dans le contexte de la Russie d’aujourd’hui qui retrouve le statut qu’elle avait avant 1917-1918 où certes il y avait beaucoup de problèmes (sans quoi il n’y aurait pas eu de Révolution) mais où les valeurs et les forces d’influence étaient stables. Ces dernières ont ressurgi ces dernières années. Je pense plus particulièrement à la renaissance de l’église orthodoxe, des valeurs démocratiques parce qu’il ne faut pas oublier non plus dans quel contexte politique se situait la Russie à l’époque soviétique.

La VdlR. Sur les quelques 80 questions posées à Poutine lors de son dialogue avec la population, une trentaine concernait le dossier ukrainien. Comment qualifieriez-vous la position du Président russe par rapport au référendum criméen et plus particulièrement par rapport à ce qui se passe dans l’est de l’Ukraine qui est victime d’une guerre civile en gestation ?

Hubert Tison. J’ai appris hier qu’il y avait un accord entre les parties prenantes pour essayer de calmer le jeu, pour désarmer les milices. Néanmoins, la situation est préoccupante. Historiquement parlant, on sait qu’il y a une partie de russophones et de russophiles dans la partie Est de l’Ukraine. Il y a en a peut-être aussi d’ailleurs dans l’Ouest et vice-versa. Cette réalité est encore plus flagrante pour la Crimée, elle qui a été donnée à l’Ukraine par Kroutchev. Je pense en somme qu’il s’agit plutôt d’une question de reconnaissance et de garantie qui, si elle est résolue, garantira la paix dans la partie Est du pays et la recouvrance de sa dignité pour la population russophone de ces régions. Tout de même, les mesures linguistiques que Kiev voulait imposer dès le renversement du pouvoir élu excluaient l’éventualité d’un dialogue entre les parties. Après tout, les réclamations des régions de l’Est n’ont rien d’extraordinaire ! Elles sont partagées ailleurs, par exemple en Belgique, en Ecosse, en Catalogne, etc. Pourquoi ne pas envisager dans ces conditions-là une certaine autonomie des régions de l’Est car, en-dehors d’une solution efficace, la situation risque de s’envenimer au point de menacer l’équilibre des pays de l’UE ?

La VdlR. Que pensez-vous des sanctions infligées à la Russie ? L’Occident, ne craint-il pas de se tirer une balle dans le pied ?

Hubert Tison. Je pense que ce n’est pas en optant pour des sanctions que l’on arrivera à un compromis réaliste avec la Russie. Au regard d’un historien, c’est quand même un pays qui est né au XVème siècle, qui est devenu une grande puissance au fil des siècles, qui occupe une superficie immense, qui a des possibilités énergétiques immenses et puis des potentialités extraordinaires grâce à l’éducation qu’elle a donné et qu’elle continue à donner à la population. Il suffit de voir le degré d’alphabétisation, absolu depuis près de cent ans ! Le fait qu’il y ait donc des sanctions me paraît contre-productif. Je pense qu’il faudrait se mettre autour d’une table et reconnaitre les ambitions légitimes de la Russie en matière de grande puissance. Ce sera son tour ensuite d’accepter un certain nombre de conditions formulées par l’Occident. Ces pourparlers pourraient finalement conduire à la reconnaissance des peuples qui autrefois étaient dominés par l’URSS et qui sont devenus indépendants mais pas par la volonté d’encercler ou d’humilier la Russie d’aujourd’hui ».

Commentaire de l’auteur. Le dénigrement de Poutine par le mainstream occidental est en effet un marqueur important des succès de sa politique. Il s’agit presque d’une reconnaissance a contrario comme on a pu s’en apercevoir suite à la victoire diplomatique du Kremlin en Syrie et ses tours d’acrobatie vis-à-vis du dossier ukrainien quand la presse bien-pensante a exacerbé des critiques de plus en plus infondées ne craignant même pas de sombrer dans le ridicule. La réalité n’en changera pas pour autant, quant à la désinformation, elle exige plus de subtilité.

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